Territoires

Projet d’usine d’embouteillage à Dieuze : quand le local résonne d'une problématique planétaire

En décembre dernier, le conseil municipal de la commune de Dieuze validait le projet d’une usine d’embouteillage sur son territoire. Dans la foulée, un collectif de riverains s’est créé pour dire son opposition au dit projet. Cela dans le contexte du réchauffement climatique et des contraintes pesant de plus en plus sur les ressources en eau. Un dossier qui dépasse largement le périmètre local et interpelle sur un enjeu mondial : l'eau comme bien commun. 

L'eau, bien commun si précieux et pas inépuisable.
L'eau, bien commun si précieux et pas inépuisable.

Le 12 décembre 2022, le conseil municipal de la commune a mis au débat de l'assemblée le projet d’une usine d'embouteillage porté par l’entreprise Aquamark, appartenant au groupe Leclerc, laquelle souhaitait exploiter les deux forages d’eau de la zone d’activités nord de Dieuze. La municipalité, propriétaire de ces sources, devait signer une convention notifiant les conditions d’exploitation du site, ceci n’étant pour autant pas la garantie de la concrétisation du projet. Il était alors précisé «que le futur exploitant paierait le mètre cube à hauteur de 2 €, et que jusqu’à 500 000 m³ seraient prélevés tous les ans selon un bail de 44 ans.»

Un cadre légal au projet

Ce début de cadre légal pour l’usine fut voté à l’unanimité moins une voix, celle de Bernard Louis. Lequel, dans la foulée, fut parmi les créateurs du collectif Eau Secours !, aux côtés de Bernard Hopp, Antoine Mathieu, Marc Mouchot. Objectif de l’entité : «alerter et informer la population sur la fragilité de la ressource en eau et la responsabilité à l’égard des générations futures.» Par conséquent, s’opposer à l’usine d’embouteillage. Il faut rappeler que Dieuze est située sur une nappe conséquente et dispose d’un forage datant de 2007 (deux forages ont été réalisés en 2010 et 2011). Les semaines qui suivirent furent marquées par une succession de courriers aux élus locaux, par plusieurs réunions publiques entre les tenants du projet et leurs contradicteurs. Pour les premiers, «chaque année, entre 200 000 et 250 000 m³ d'eau remontent du forage et sont jetés dans la rivière.
L’entreprise prélèverait entre 350 000 m³ et 500 000 m³. L’argent généré par la vente des bouteilles permettrait d’entretenir le réseau de distribution, de limiter l’impact du prélèvement sur la nappe et d’investir dans la vie communale.»

Les arguments d'Eau Secours !

Les membres du collectif Eau Secours ! ont, eux, une vision autre des choses et s’appuient sur plusieurs arguments : «Depuis 2003, les épisodes caniculaires se sont multipliés à tel point que l’on peut penser qu’ils vont devenir la norme. Devra-t-on bientôt parler de rationnement dans certaines régions ? Existe-t-il un ordre de priorité en matière d’accès à la ressource d’eau potable, les particuliers sont-ils considérés comme prioritaires ou bien ce sont les activités économiques et lesquelles ?» Ajoutant : «Inquiets, nous avons cherché des informations sur l’état de la nappe qui nous alimente, nappe captive du trias inférieur. Un rapport de la DRIRE était déjà alarmiste quant à sa surexploitation et à sa vulnérabilité - dégradation de la qualité chimique des eaux souterraines, des difficultés d’approvisionnement en eau de certaines communes du secteur de Vittel qui sont connectés à la même nappe.» Ils disent, par ailleurs, «leurs inquiétudes quant à une hausse du trafic en centre-ville par la seule route rejoignant la zone industrielle, nous estimons 150 le nombre de camions supplémentaires traversant Dieuze.»

Dans le contexte du réchauffement climatique...

Dans le contexte d’un réchauffement climatique incontestable et se matérialisant un peu plus chaque jour dans nos régions d’ordinaire tempérées, lesquelles, désormais, n’en finissent plus de battre record de chaleur sur record de chaleur, le projet d’embouteillage interroge sur la nécessité ou non de prélever de l’eau alors que cette ressource pourrait venir à manquer, quand les arrêtés préfectoraux en limitent l’usage. En cette rentrée, rien de bien nouveau dans le dossier dieuzois. Chacun semble avancer dans son couloir. La municipalité a sollicité le Bureau de Recherches Géologique et Minière afin d’obtenir des réponses précises sur la situation actuelle de la nappe, qui est une nappe captive, dont indépendante de l’hygrométrie hivernale, et moins sujette aux épisodes de sécheresse. Du côté d’Eau Secours !, le collectif va devenir ces jours prochains une association, ce qui lui conférera le statut de personne morale à part entière, c’est-à-dire, un groupement doté de personnalité juridique, et, par conséquent l'accès au dossier de la potentielle usine d’embouteillage. Une pétition en ligne a rassemblé quelque 200 signatures.

Demain, que sera l'eau ? Pour qui ?

Eau Secours ! va continuer à interpeller les services de l’État, les collectivités publiques, les élus des territoires afin d’obtenir et de partager les informations. Ici, localement, se pose cette problématique de l’eau comme bien commun, et de l’utilité que l’humain veut en faire. Et plus largement, cette équation : «Comment concilier l’impérieuse nécessité environnementale avec l’indispensable activité économique ?» De la taille du territoire dieuzois à l’échelle planétaire, c’est un enjeu majeur, quand on sait que la ressource en eau sera réduite de 10 % à 40 % dans les décennies à venir du fait de la modification accélérée du climat. Face à cette situation, le plan eau gouvernemental prévoit de diminuer de 10 % notre consommation d’ici 2030. En France, 95 % de l’eau douce consommable est stockée dans les nappes souterraines qui en équilibre entre les infiltrations (pluies) et les prélèvements. Si les pluies diminuent, le niveau des nappes baisse. Et seulement une petite quantité des pluies parvient jusqu’aux nappes, la plus grande ruisselle ou s’évapore. En cette fin d’été, on mesure aisément où on en est sur ce plan : la situation est préoccupante.