Les entreprises face aux droits de l’Homme

Finie l’impunité ! Dans les conflits armés, les belligérants ne sont plus seuls en cause. Les entreprises qui fournissent : armes, moyens de communication, transport, carburant ou matériaux de construction, peuvent également être mises en cause.

Dans les conflits armés, les belligérants ne sont plus seuls en cause. Les entreprises peuvent également être incriminées.
Dans les conflits armés, les belligérants ne sont plus seuls en cause. Les entreprises peuvent également être incriminées.
Dans les conflits armés, les belligérants ne sont plus seuls en cause. Les entreprises peuvent également être incriminées.

Dans les conflits armés, les belligérants ne sont plus seuls en cause. Les entreprises peuvent également être incriminées.

«Depuis quand les entreprises devraient-elles se préoccuper des droits de l’Homme ? Ce n’est pas leur affaire». William Bourdon, avocat à Paris et fondateur de Sherpa, une association de juristes pour les droits de l’Homme, joue la provocation. Dans la grande salle du centre de conférence du ministère des Affaires étrangères, le 21 mars, un public de quelques centaines d’avocats, de directeurs juridiques et de responsables associatifs écoute les engagements solennels des multinationales en faveur des droits de l’Homme. Alors que les grands groupes mondiaux sont toujours plus contestés pour leur participation indirecte aux conflits, le Conseil national des barreaux (CNB) et l’American Bar Association (ABA), porte-paroles respectifs des praticiens français et américains, ont organisé ce colloque consacré à la responsabilité internationale des entreprises en zones de conflit. La sortie de William Bourdon fait l’effet d’un pavé dans la mare. La «nouvelle doxa» des entreprises, sur le mode «nous sommes coresponsables de la planète et allons la sauver tous ensemble», n’est plus sans conséquences juridiques, explique-t-il. Les «codes de conduites» et autres «chartes éthiques» des multinationales constituent désormais une «soft law», certes pas aussi contraig

nante qu’une mesure législative, mais suffisamment engageante pour intéresser les tribunaux.

Quelques cas isolés

Les affaires ayant donné lieu à des condamnations pour complicité de crimes de guerre demeurent rares. En Europe, le corpus juridique se construit peu à peu, à la vitesse de la jurisprudence. Aux Pays-Bas, où siège par ailleurs la Cour pénale internationale créée en 2002, les juges se montrent plus rapides qu’ailleurs. Frans Van Anraat, un homme d’affaires versé dans le commerce de produits chimiques, a été condamné, en 2007, à dix-sept ans de prison pour avoir, dans les années 1980, exporté des gaz qui avaient permis à l’Irak de Saddam Hussein de détruire des villages iraniens et kurdes. Dans les années 2000, un autre homme d’affaires, Guus Kouwenhoven, a été accusé d’utiliser son commerce de bois pour couvrir un trafic d’armes en Afrique. En première instance, les faits ont échappé à la qualification de complicité de crimes contre l’humanité, mais le chef d’entreprise a été condamné à huit ans de prison pour violation de l’embargo sur les armes. Toutefois, en appel, l’homme a obtenu un acquittement complet. «Les liens entre la livraison d’armes et les crimes de guerre n’ont pas été prouvés», constate Martin Witteveen, ancien procureur aux Pays-Bas.

Géométrie variable

Les entreprises ne se résignent pas à occuper la position d’accusé. Plusieurs groupes, tels que les Américains Chevron ou General Electric, ou le Français Total, ont présenté aux participants du colloque leur stratégie pour limiter les risques. «Nous avons intégré le concept de droits de l’Homme. À chaque fois que nous lançons un projet dans un pays, une équipe dédiée est envoyée sur place», promet Jeffrey Collins, conseiller juridique international du pétrolier Chevron. Directeur juridique de Total, Peter Herbel essaie de faire oublier les accusations portées contre son groupe en Birmanie, au cours des années 2000. «Depuis 2005, nous développons des cycles de formation et, quand la sécurité du personnel n’est plus assurée, nous préférons fermer nos locaux, comme récemment en Libye, en Côte d’ivoire ou en Syrie», dit-il. Cette politique est toutefois à géométrie variable. «Au Yémen, nous sommes restés afin de fournir du travail à nos employés locaux», poursuit le cadre dirigeant, qui reconnaît que la responsabilité du groupe constitue «un cheminement avec beaucoup de dilemmes». Pour les associations défendant les droits de l’Homme, les grands groupes, désormais scrutés par les médias comme par certains investisseurs, notamment le puissant fonds de pension gouvernemental de Norvège, ne forment plus l’essentiel de la cible. L’attitude des sous-traitants, ainsi que des concurrents opérant sur les marchés émergents, suscite davantage d’inquiétude. «En Amérique du Sud, les groupes miniers créent des consortiums pour échapper à leurs responsabilités», regrette William Bourdon.