Conjoncture

Quelles conséquences pour les entreprises en Moselle dans un contexte national de défaillances en hausse ? continuent…

Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a dévoilé son Baromètre national des entreprises, basé sur les données du registre du commerce et des sociétés (RCS) et visant à mesurer l'état de santé du tissu entrepreneurial français au cours du second semestre 2022, en analysant son évolution sur la période juillet-octobre 2022. Un contexte hexagonal intéressant à décrypter pour jauger la situation en Moselle. D’autres études abondent en ce sens : en la matière, «l’état de grâce» semble terminé. Au point de craindre un tsunami de faillites dans les mois à venir ?

Si les défaillances entrent dans le cycle normal d'une économie, la période actuelle suscite beaucoup d'interrogations.
Si les défaillances entrent dans le cycle normal d'une économie, la période actuelle suscite beaucoup d'interrogations.

Les premiers signes de tension du monde entrepreneurial relevés au premier semestre s'accentuent à l'approche de la fin d'année. Après l'euphorie de l'année 2021, marquée par une forte poussée entrepreneuriale, la levée progressive des dispositifs de soutien doublée d’un contexte économique et géopolitique morose confirment l'inversion des courbes observées en 2020 et 2021 avec un double effet en miroir : un ralentissement de la création d'entreprise et un envol des procédures collectives. Un pic d'ouvertures est enregistré entre juillet et octobre (+ 66 % à un an d'intervalle), atteignant un niveau qui reste en deçà de la période pré-Covid. Les entreprises portées par les opportunités nées de la crise sanitaire et protégées par les aides gouvernementales sont les premières victimes de l'inversion des courbes. Le secteur de l'hôtellerie-restauration est le plus durement touché avec une explosion d'entreprises en difficulté sur la période (+ 124 %). La restauration et le commerce de proximité sont à nouveau les premières victimes de la hausse des liquidations judiciaires.

Les bulles livraison et e-commerce explosent

Entre juillet et octobre 2022, 169 278 créations entreprises ont été enregistrées par les greffiers des tribunaux de commerce au sein du RCS, soit une baisse de 5 % à un an d’intervalle. Dans le même temps, le nombre d'entreprises en difficulté augmente de 66 % comparativement à l'an passé pour atteindre 12 059 ouvertures de procédures collectives. Ce renversement semble toucher en premier lieu les entreprises ayant bénéficié du dynamisme et de la reprise enregistrée en parallèle de la crise sanitaire, tout comme celles qui souffrent de l'arrêt des dispositifs de soutien gouvernementaux. Près d'un quart des entreprises radiées du RCS sur la période ont moins de 3 ans et s'étaient donc créées en parallèle de la crise sanitaire. Après avoir été fortement soutenues par les aides publiques, les entreprises du secteur de l'hôtellerie-restauration voient leurs difficultés croître, avec une augmentation de 124 % du nombre de procédures collectives ouvertes sur la période. Les secteurs de la livraison à domicile et du e-commerce, particulièrement fertiles pendant la crise sanitaire, paient le plus lourd tribut des radiations d'entreprises. Près d'une entreprise sur deux créées dans le secteur de la livraison à domicile depuis 2020 a ainsi été radiée sur la période, et près de 63 % dans le secteur de la vente à distance.

Fin du «quoi qu'il en coûte», retour au réel

Les créations d'entreprises individuelles (dont les micro-entreprises) chutent de 14 % - un statut qui avait été fortement investi par les créateurs d'entreprises séduits par l'auto-entrepreneuriat. Les entreprises en difficulté sont de plus en plus jeunes (8 ans en moyenne, soit un an de moins à un an d'intervalle). Avec 12 059 procédures collectives ouvertes sur la période juillet-octobre, soit une hausse de 66 % sur un an, les entreprises paient le prix du retournement de la conjoncture marqué par la hausse de l'inflation, proche de 6 %, et de la faiblesse de la consommation des ménages. Le nombre de liquidations judiciaires poursuit sa progression avec un total de 9 173 procédures ouvertes sur la période, soit une croissance de 64 % à un an d'intervalle. La restauration et le commerce de proximité (restauration rapide et traditionnelle, habillement, boulangerie-pâtisserie, débit de boissons) sont les premières victimes de la fin du «quoi qu'il en coûte» : les liquidations judiciaires sont plus que multipliées par deux dans ces secteurs au cours des quatre derniers mois, comparativement à 2021. Toutefois, le nombre total d'entreprises en difficulté reste aujourd'hui en deçà des niveaux atteints pendant la période pré-Covid, éloignant à nouveau le spectre du «mur des faillites». En outre, après avoir explosé au cours du premier semestre, les radiations d'entreprises semblent aujourd'hui se stabiliser : 106 382 ont ainsi disparu du RCS entre juillet et octobre 2022, soit une diminution de 6 % à un an d'intervalle.

Les inquiétudes des commerçants

Les données mensuelles brutes des radiations du Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) publiées par les greffes sont de bons indicateurs. À titre de précision, la radiation du RCS signe la fin de vie d’une entreprise, qui disparait alors et perd la personnalité juridique. La radiation du RCS peut résulter de la défaillance de l’entreprise et la cessation volontaire d’activité. L'année 2022 a été marquée par des chiffres anormalement élevés de radiations aux T1 et T2 comparé aux deux années précédentes : 179 523 radiations entre janvier et juin 2022 contre 136 217 en 2021 et 106 701 en 2020 sur la même période. Cela correspond à une augmentation de 32 % par rapport à 2021 et de 68 % par rapport à 2020. Concernant le T3, les chiffres de 2022 (75 023 radiations) n’apparaissent cette fois pas anormalement élevés. En effet, s’ils sont supérieurs à ceux de 2020 à la même période (61 472), ils restent néanmoins équivalents à ceux de 2021 (76 348). En tout et pour tout, sur la période de janvier à septembre 2022, on dénombre 257 257 radiations, soit une augmentation de 21 % par rapport à 2021 (qui comptait 212 565 radiations) et de 53 % par rapport à 2020 (qui comptait 168 173 radiations). Si l’on remonte dans le temps, les chiffres de radiations de 2022 sont inquiétants. En effet, alors que l’on ne comptait que 252 592 radiations entre octobre 2018 et septembre 2019, on en compte désormais 365 480 entre octobre 2021 et septembre 2022. Avec des radiations qui grimpent en flèche au fil des mois chez les commerçants : 78 062 sur ces neuf premiers mois.

Les TPE/PME dans l'œil du cyclone

Les données sur les défaillances deviennent particulièrement alarmantes lorsque l’on se concentre spécifiquement sur les TPE/PME. En septembre, la Banque de France (BDF) publiait pourtant des données qui pouvaient paraître rassurantes : le nombre de défaillances sur 12 mois en août 2022 des TPE/PME avait baissé de 30,7 % par rapport au chiffre enregistré au mois d’août 2019. La BDF constatait néanmoins une légère augmentation de 1,8 % et 1,9 % concernant respectivement le nombre de défaillances des petites entreprises et des très petites entreprises. Cependant, données plus inquiétantes, on apprend dans le rapport du groupe Altares que les TPE de moins de trois salariés représentent à elles seules trois quarts des procédures de défaillance au cours du T3 (6 720 sur un total de 8 950). Les TPE de trois à neuf salariés comptent quant à elles 1 500 défaillances. Cet été, ce sont également 439 PME de 10 à 19 salariés qui ont défailli, un chiffre désormais supérieur à l’été 2019 (381). Enfin, les PME de 20 à 49 salariés sont également fortement touchées : le nombre de défauts a plus que doublé (111 %) ce trimestre, avec 186 ouvertures de procédures, talonnant le chiffre de l’été 2019 (193). À l’issue de ce T3 2022, les TPE/PME semblent donc être particulièrement exposées à la défaillance, et 33 000 emplois sont ainsi menacés aujourd’hui à cause de ce phénomène. Parallèlement aux défaillances d’entreprises, un autre phénomène vient alimenter les radiations du RCS : les cessations d’activité volontaires. Il s’agit d’entreprises commerciales ou artisanales qui, malgré une bonne santé économique, mettent un terme volontairement à leur activité, par manque de perspectives attirantes pour l’avenir. D'après le syndicat des indépendants et des TPE (SDI), plus de 160 000 entreprises commerciales ont arrêté volontairement leur activité entre janvier et juin 2022 contre plus de 114 000 sur la même période en 2021 et plus de 80 000 en 2020, soit + 100 % entre 2020 et 2022. Au regard de la conjoncture économique actuelle et du nombre de radiations au T3 évoqué plus haut (surtout chez les commerçants), il y a fort à parier que cette augmentation des cessations d’activité volontaires va se prolonger dans le temps, jusqu’à fin 2022, mais aussi en 2023. En cette fin d’année, les TPE/PME semblent être particulièrement exposées : 33 000 emplois salariés sont menacés.

Un faisceau de difficultés

La Confédération des petites et moyennes entreprises met également en avant une explication tendant à relativiser le phénomène d’augmentation des cessations d’activité. Selon ses dirigeants, de nombreuses personnes se sont lancées dans l’entrepreneuriat durant la pandémie de Covid, mais sans un business model fiable et dans des secteurs volatiles, tels que celui de la livraison. La plupart des entreprises n’ont donc logiquement pas tenu, et l’on se retrouve ainsi aujourd’hui dans une phase de recalibrage vers des chiffres plus normaux. En effet, un rapport du SDI analyse de façon moins rassurante l’augmentation du nombre de radiations du RCS chez les TPE et indépendants en 2022.Tout d’abord, la saison estivale 2022 a été mitigée et ainsi 53 % des personnes interrogées par le SDI constatent une baisse de leur chiffre d'affaires depuis le début de l'année 2022, dans des proportions de 10 % à 30 % pour une majorité d'entre eux. Cette baisse de la clientèle est aggravée par une pénurie de personnel, surtout chez les professionnels de la restauration et du BTP. Ainsi, le SDI nous apprend que plus d’une TPE sur cinq est actuellement à la recherche de personnel. 91 % des recruteurs interrogés expriment des difficultés, ces dernières étant liées à une absence totale de candidat (36 %) ainsi qu'à un déficit de personnes qualifiées (55 %). Ensuite, les charges d’exploitation courantes sont en forte hausse et pèsent sur les entreprises. Concernant le salaire, le SMIC a augmenté de 10,4 % entre 2020 et 2022. S’agissant de l’énergie, le SDI relate que 73 % des professionnels interrogés ont constaté une hausse de leurs factures d'électricité, hausse néanmoins contenue en pourcentage entre 5 % et 20 % pour une majorité d'entre eux.

Quid des remboursements des PGE ?

À ces contraintes relevées par le SDI, s’ajoutent les prêts garantis par l’État (PGE), qui représentent eux aussi une lourde charge pour les TPE/PME et les indépendants. Mis en place durant la pandémie pour aider les entreprises touchées par la crise sanitaire, le PGE Covid-19 a pris fin le 30 juin 2022, et les entreprises qui en ont bénéficié ont entamé son remboursement au printemps. Un rapport de la Cour des comptes révèle que c’est près de 700 000 TPE/PME qui ont bénéficié de PGE (soit 99 % des bénéficiaires). En janvier, l’exécutif annonçait que 4 % des bénéficiaires de PGE seraient susceptibles de rencontrer des problèmes dans leur remboursement, ce chiffre a été réévalué à 6-8 % récemment. Mais cela dépend des secteurs, et ainsi L'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie par exemple estime que 25 % de ses adhérents sont en difficulté pour rembourser. Motif d’inquiétude, les secteurs les plus touchés par la crise du Covid (le secteur du tourisme), et par la guerre Russo-Ukrainienne (BTP et automobile), représentent à eux seuls près de 50 % des bénéficiaires de PGE. Par ailleurs, la Cour des comptes estime qu’un indépendant devra verser en moyenne 564 €/mois au titre du remboursement de son PGE. S’agissant des TPE/PME, elles devront se délester de 6,25 % de chiffre d'affaires pendant quatre ans pour rembourser leur PGE, ce niveau pouvant monter à 8-9 % pour aussi résorber les dettes Urssaf, laquelle pendant la crise sanitaire, a mis en place des mesures d'accompagnement auprès des entreprises, en permettant le report du paiement des cotisations sociales et en facilitant l’octroi de délais de paiement. Ces mesures ont désormais pris fin, et en février 2022, l'Urssaf a adressé aux professionnels indépendants et dirigeants de TPE leurs échéanciers de régularisation de leurs cotisations personnelles reportées. Pour 64 % des professionnels interrogés par le SDI, cela implique de verser des mensualités comprises entre 500 € et plus de 1 000 €. Ainsi, nombre de responsables vont devoir s'acquitter de charges sur des revenus antérieurs avec une forte baisse de leurs ressources disponibles, ce qui est fortement préjudiciable pour leur entreprise dans un contexte économique compliqué. En conclusion, si les chiffres des défaillances d’entreprises du T3 2022 ne sont pas les plus hauts jamais enregistrés, la situation n’en n’est pas pour le moins alarmante. Tout d’abord, les chiffres des radiations ont déjà atteint un niveau bien plus élevé qu’avant le Covid en 2018-2019. De plus, le nombre de cessations d’activité volontaires et de défaillances continue de grimper en flèche.

Des enjeux majeurs à relever

Les commerçants et les TPE/PME sont les plus à risque, particulièrement fragilisés par une conjoncture économique post-Covid dans laquelle les aides exceptionnelles de l’Etat ont été supprimées, la consommation diminue, la main-d’œuvre manque, et le coût des charges d’exploitation augmente fortement. À partir de ce postulat hexagonal peu optimiste, les conséquences sur les entreprises en Moselle seront logiquement au diapason. Les dernières données consolidées pour le département, émanant de l'Insee, notaient pour le 2e trimestre, 108 défaillances. Comparativement à la même période en 2020 et 2021, les chiffres étaient, respectivement, de 84 et 75. On le voit, en Moselle également, la courbe est reparti à la hausse. Il faudra déterminer ce qui a trait de la normalité économique de faits plus conjoncturels, avec les conséquences de la crise énergétique. Les défaillances sont nécessaires au bon fonctionnement d'une économie. La disparition d'entreprises les moins efficaces permet en effet une réallocation des ressources - notamment des salariés - dans les entreprises les plus solides. On se souviendra, qu'en 2008, à la suite de la crise financière, les défaillances s'étaient maintenues à un niveau élevé les années suivantes, marquées par la crise des dettes souveraines en zone euro. 14 ans ont passé... Nous sommes entrés dans une époque nouvelle, aux multiples turbulences. Une nouvelle ère même... Comment les entreprises vont-elles s'y adapter, entre problématiques du moment, et enjeux à plus long terme, transitions énergétique et écologique en tête ? Une bonne partie des réponses et de l'avenir est ici encore à dessiner...