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Le collectif Sessile revendique un marché de la fleur écoresponsable et éthique

Dire que les années écoulées ont été compliquées pour les artisans fleuristes relève de l’euphémisme : entre fermeture prolongée des boutiques liée à la pandémie, hausse des prix de l’énergie qui se sont répercutés sur le prix des fleurs et concurrence exacerbée des fleuristes sur Internet, les artisans fleuristes comptent sur la fête des mères pour relancer leur activité. En Moselle, les professionnels sont dans les starting-blocks. Le collectif Sessile d’artisans fleuristes sur le web se bat contre les aberrations d’un marché de la fleur dérégulé et vecteur d'un non-sens écologique. Au final, le consommateur a la clé. À lui d’être avisé, curieux et responsable.

L'artisan fleuriste demeure un lien essentiel de proximité dans nos villes et villages.
L'artisan fleuriste demeure un lien essentiel de proximité dans nos villes et villages.

Dans les villes et villages mosellans, les fleuristes se préparent à leur plus importante journée de l’année avec la perspective de la fête des mères, le dimanche 29 mai. Cette journée est vitale pour les professionnels de la fleur. On estime que ces artisans réalisent près de 20 % de leur chiffre d’affaires à cette occasion. Souvent, cela approche les 50 %. Les autres périodes phares pour la profession : la Saint-Valentin, la fête des grands-mères, le 1er mai, la Toussaint, Noël et le Nouvel an. Louis Savatier, cofondateur du collectif Sessile, le dit : «Nous sommes un peu stressés, c’est un moment essentiel de notre activité.» Sessile est né en 2019 avec cette volonté forte de redonner aux artisans fleuristes toute leur place sur Internet. Ce, en facilitant le virage numérique des commerces de proximité. Parti à quelques dizaines, le mouvement fédère en ce printemps plus de 400 fleuristes, en France, en Belgique et au Luxembourg. Le réseau a évidemment essaimé en Moselle et va crescendo dans le département. Le leitmotiv de Sessile, c’est «trouver un artisan fleuriste à proximité en restant chez soi, c’est possible !»

Le baromètre de la pivoine

De récentes enquêtes le montrent. Ces artisans que l’on croise tous les jours, en passant devant leurs boutiques, humant ces doux parfums titillant nos narines, restent le premier canal de vente physique du marché. Ils créent un lien humain et une interaction sociale irremplaçables et pèsent toujours 46 % des ventes de plantes et végétaux, selon l’étude Xerfi de 2020. L’année dernière cependant, la fête des mères avait démarré sous de curieux auspices pour eux : la pivoine, considérée comme l’une des fleurs préférées des Français à l’approche du printemps, avait fait face à une brusque hausse de son coût. Au plus fort de cette crise miniature, son prix pouvait culminer à 2,75 € chez le grossiste, ce qui avait conduit les fleuristes, soit à afficher des prix décourageants pour leurs clients en boutique, soit à rogner sur leurs propres marges dans la majorité des cas. «Cette année, la tendance quant à la pivoine nous est plus favorable», observe Louis Savatier. Quant aux raisons de cette hausse soudaine des tarifs, il les décrit : «D’une part, les pivoines sont majoritairement produites en Hollande, qui a fait face en 2021 à d’abondantes pluies qui ont retardé sa floraison et créé un hiatus entre offre et demande. D’autre part, la popularité croissante de la pivoine auprès des consommateurs a poussé la grande distribution à commander massivement des pivoines et à accroître artificiellement la demande auprès des grossistes, laissant peu de latitude aux fleuristes pour s’adapter.»

Un non-sens écologique

Cet épisode illustre les profondes mutations à l'œuvre sur le marché de la fleur : face à une production mondialisée très largement dominée par les Pays-Bas, les artisans fleuristes locaux disposent de peu de moyens pour mener leur métier comme ils l’entendent. Cette centralité de l’horticulture hollandaise est largement mise en lumière par la bourse d’Aalsmeer, surnommée le Cadran, bourse par laquelle transitent presque toutes les fleurs vendues en France - y compris celles qui y sont produites. Louis Savatier décrypte le phénomène : «Comme toute industrie, l’horticulture hollandaise est en quête de produits standards faciles à produire et résistants aux multiples voyages imposés aux végétaux. Aujourd’hui, ce végétal iconique est la rose rouge, très populaire auprès des consommateurs. Pour se défaire de la contrainte de saisonnalité et offrir des roses rouges toute l’année, les producteurs doivent se tourner vers des modes de production peu respectueux de l’environnement : délocalisation (Éthiopie, Kenya, Équateur…), usage de pesticides interdits en Europe, serres chauffées… » On se situe là dans des modes ubuesques allant à l’encontre des impératifs environnementaux édictés pour tendre vers une consommation écoresponsable et maîtrisée. N'oublions pas que la grande bénéficiaire d'un cercle vertueux est la planète. Comment mettre sous le boisseau cette évidence ?

Un marché totalement anarchique

Louis Savatier poursuit : «À leur échelle locale, les fleuristes sont dépendants de ces modes de production, et disposent de peu de possibilités pour ajuster leur marge. Par ailleurs, la vente de ces fleurs standards est fortement encouragée par les plateformes de transmission florale, qui équipent aujourd’hui plus de 80 % des fleuristes et demeurent bien souvent leur seul canal de vente sur Internet. Captant la majorité des ventes de fleurs par la toile, celles-ci pratiquent un commissionnement prohibitif en défaveur du fleuriste. Sans compter que ces plateformes imposent un catalogue de bouquets standards aux fleuristes, qui les contraint dans leur approvisionnement et entrave leur créativité. Enfin, les réseaux de transmission florale invisibilisent le travail des fleuristes, qui sont rarement crédités de leur travail.» S'ajoutent à ce panorama des plateformes low cost écrasant le marché et commercialisant des produits peu chers... et bas de gamme. En bout de chaîne, les fleuristes subissent des injonctions fortes dans la composition même de leur stock : dépendants de la production hollandaise, ils peinent à faire de la place à des fleurs françaises sur leurs étals, et les catalogues des transmetteurs floraux leur imposent par ailleurs des fleurs «best sellers» en lieu et place des fleurs de saison. Dans ces conditions, il leur devient difficile d’exprimer pleinement leur créativité.

Sessile, un bouclier et un porte-parole

C’est pour répondre à cet enjeu qu’est né le collectif Sessile, qui ambitionne de lutter pour l’indépendance des fleuristes, en leur permettant de faire vivre l’art floral à la française. Partant du principe que le marché fait peser une incertitude économique sur les professionnels de la fleur, le collectif a décidé de s’orienter vers un modèle plus juste envers les fleuristes, leur permettant de fixer eux-mêmes le tarif de leurs bouquets pour ajuster leurs marges et en ponctionnant une commission plus faible. Le fait que le site n’impose pas de catalogue de bouquets standards est également une liberté supplémentaire pour les fleuristes, qui peuvent désormais proposer leurs créations florales originales, et donc faire plus de place aux fleurs de saison. L’objectif est de leur permettre de regagner en indépendance pour qu’ils puissent pleinement exercer leur métier et exprimer leur créativité. Leur mot d’ordre «les fleuristes sont des artisans, ce n’est pas la marge qui nous intéresse mais le travail bien fait.» Concrètement, Sessile propose aux artisans fleuristes une boutique en ligne entièrement personnalisable où ils sont libres de vendre les bouquets qu’ils souhaitent à leurs conditions. Par ailleurs, le collectif entend opérer la jonction entre nécessité du commerce physique et opportunités offertes par Internet.

Éduquer à l'éco-consommation

C’est un modèle de digitalisation plus juste, aux antipodes du phénomène d’ubérisation déjà à l'œuvre par l’entremise des plateformes de transmission florale, qui doit devenir la norme pour les artisans fleuristes. Pour la fête des mères par exemple, le site n’impose pas de bouquet standard, mais propose au contraire d’accéder à des bouquets reflétant davantage l’humeur et le sens esthétique de chaque fleuriste, en partant du principe qu’un bouquet est bien plus qu’un simple assemblage de fleurs. De quoi permettre à chacun de trouver une composition florale unique qui fait la part belle aux fleurs de saison. Louis Savatier fait cette analyse, qui renvoie chaque consommateur à sa propre responsabilité : «Nos artisans fleuristes parient sur leur démarche de circuits courts écoresponsables, avec une traçabilité claire de leurs produits. Mais, en bout de chaîne, c’est le consommateur qui choisit. Il y a là une pédagogie, je dirais une éducation à faire ou à refaire. Comme pour les fruits ou les légumes, ce n’est pas tout, tout le temps et en toute saison. C’est la même chose pour les fleurs. Respectons la saisonnalité. Une rose rouge, ce n’est pas n’importe quand. Malgré la hausse des coûts de production, les conséquences de la guerre en Ukraine, une concurrence débridée, nos professionnels gardent leur sérénité. Notre meilleure motivation est notre savoir-faire unique !»

Pour aller plus loin :
https://www.sessile.fr/

«Moins les fleurs voyagent, plus elles resplendissent. Consommons local», affirme Louis Savatier, cofondateur du collectif Sessile.