Entreprises

L’année 2023 confirme le basculement de l’entrepreneuriat en Moselle

Le phénomène s’amplifie depuis la crise sanitaire. Il est hexagonal et infuse dans les territoires : l’explosion des créations d’entreprises individuelles sous le régime de micro-entrepreneur. Dans toutes les transitions qui bousculent les codes, font bouger les lignes, l’une d’entre elles mérite un coup de projecteur car elle trace les sillons dont émerge sans doute déjà un nouveau modèle. Zoom sur cette transition entrepreneuriale en Moselle. Et si cela était une émanation de cet énigmatique «monde d’après» ?

L'envie d'indépendance professionnelle stimule un nombre croissant d'actifs, repoussant les lignes, comme rarement auparavant.
L'envie d'indépendance professionnelle stimule un nombre croissant d'actifs, repoussant les lignes, comme rarement auparavant.

Une transformation silencieuse. Elle ne fait pas forcément la une des journaux télévisés et est davantage décryptée par les tenants de l’analyse économique. On parle de transitions écologique, énergétique ou numérique, une autre se fait jour, accélérée par la période pandémique, qui a rebattu tant de cartes, et dont on ne mesure pas encore l’exacte ampleur à plus ou moins long terme. Pourtant, la transition entrepreneuriale est bien en marche. C’est-à-dire l’évolution progressive d’une société du travail composée en large majorité sa salariés en CDI vers un autre modèle intégrant de plus en plus d’entrepreneurs et d’indépendants, à temps plein ou partiel.

La période Covid-19 a tout changé...

Depuis la mise en place en 2009 du régime d’auto-entrepreneur, le nombre d’entrepreneurs n’a cessé de croître. On le constate en Moselle où le nombre de créations annuelles dépasse désormais les 10 000. Cette forte progression est tirée par les immatriculations d’entreprises individuelles sous le régime du micro-entrepreneur. La loi Dutreil de 2003 avait lancée à l’époque la SARL à capital variable - la SARL à 1 € -. Cela avait entraîné un premier pic de créations d’entreprises. Mais c’est bien le régime de l’auto-entrepreneur porté par Hervé Novelli qui a brisé les plafonds de verre successifs. En 2014, il fut renommé sous le terme de micro-entrepreneur. Depuis, les indicateurs s’affolent. La Moselle n’échappe pas à ce vertigineux phénomène. Pensez, en 2019, ce n’était qu’il y a quatre ans finalement, on recensait 4 203 nouvelles micro-entreprises. L'apparition sidérante de la Covid-19, en 2020, voyait bondir ce nombre, à 5 301. C’est cette année hors normes qui a constitué le déclencheur. En 2021, on dénombrait 6 939 nouvelles micro-entreprises mosellanes. On l’a souvent vu dans pléthore d’enquêtes sur cette période si particulière dans notre vivre ensemble : les effets liés à l’introspective collective et individuelle née de la pandémie ont remis la quête de sens au cœur de notre corpus commun. La sphère professionnelle n’y échappe pas. Ce n’est pas un effet de mode, mais une lame de fonds qui touche l’entrepreneuriat. Toujours en Moselle, sur les dix premiers mois de 2022, 5 933 micro-entreprises avaient été créées. Sur la même période observée en 2023, on grimpe à 6 652. Encore plus parlant, dans le paysage de la création mosellane, 7 entreprises nouvelles sont à présent des micro-entreprises.

L'accélération numérique décisive

L’immense majorité de ces «néo-entrepreneurs» sont des «solo-preneurs» : 98 % des créateurs n’emploient aucun salarié au démarrage. On peut d’interroger . Pourquoi ? L’envie d’indépendance, pour prendre son destin professionnel en mains stimule de plus en plus. C’est la motivation n°1 dans toutes les études sur la création d’entreprise depuis 20 ans. La crise sanitaire a fait prendre beaucoup de recul. À la fois sur sa vie professionnelle et sur ses lieux de vie. Avec une question, entre autres, essentielle : «à quoi je sers ?». Si l’entreprise ne donne plus de vision, de perspectives à long terme, de sentiment d’utilité, alors la micro-entreprise est appelée à gagner du terrain car elle répond à ce besoin de sens et de maîtrise, de reprise en main de sa vie. Deuxième argument : la puissance numérique, c’est-à-dire la vitesse de traitement et de transmission de «data» - la capacité de stockage, la miniaturisation des outils - continue d’augmenter. La conséquence ? Des entrepreneurs de plus en plus connectés, de plus en plus efficaces dans leurs décisions et leur travail et de plus en plus concentrés sur leur cœur de compétences et leurs clients, grâce à des applications mobiles de plus en plus ergonomiques. Ajoutez la puissance d’internet et de la 5G, et chacun peut, en 2023, créer une entreprise de chez soi, puis être en contact avec les clients et les fournisseurs sans difficulté de n’importe où dans le monde. Gérer une entreprise devient toujours plus simple. La pandémie a accéléré la digitalisation de la société et des comportements au quotidien, nous faisant gagner en maturité digitale, notamment aux entrepreneurs, obligés d’adapter leur modèle économique, les relations avec leurs clients et leur logistique. Les cas des libraires devenus partiellement des e-commerçants sont révélateurs de la mutation en cours.

Un accès à l'entrepreneuriat démocratisé

Également, l’accès à l’entrepreneuriat se démocratise grâce à la simplification des formalités administratives, à l’abaissement de barrières économiques et à des aides et dispositifs d’accompagnement. Citons les simplifications apportées par la loi Pacte : guichet unique numérique, simplification des formalités, réduction du nombre de seuils selon l’effectif. Sans oublier bien sûr, l’ARCE (aide financière versée par Pôle emploi, certainement le 1er financeur de la création d’entreprises en France), l’Acre, les prêts d’honneur, subventions, avances remboursables, aides aux femmes entrepreneures et soutien à l’apprentissage. Enfin, les tiers-lieux comme les espaces de co-working, les collectifs, coopératives et réseaux d’indépendants permettent d’éviter le sentiment de solitude des «solo-preneurs ».

Meilleure protection

C’est tout un écosystème, encore il y a peu, sous forme d’état gazeux, qui se cristallise. Un autre atout, décisif. La protection sociale des entrepreneurs s’améliore. Les régimes de protection des indépendants convergent de plus en plus vers ceux des salariés, avec des organismes unifiés. Depuis le 1er janvier 2020, tous les indépendants ont été automatiquement intégrés au régime général sans démarche ni formalité à effectuer. Ceux percevant de faibles revenus peuvent bénéficier de la Complémentaire Santé Solidaire. Et le «plan indépendants» renforce la protection du patrimoine des entrepreneurs individuels. Toutes ces mesures favorisent les allers-retours entre salariat et entrepreneuriat. Enfin, la pluriactivité gagne du terrain. Elle est une porte ouverte pour tester et développer, avec un minimum de risque, une idée d’entreprise. Ils seraient ainsi de 4 à 6 millions en France à exercer simultanément plusieurs activités professionnelles, par choix ou nécessité. Avec une appétence marquée par une volonté d’indépendance, via la micro-entreprise. Ainsi, le changement de paradigme constaté, dans le giron mosellan, comme ailleurs, n’en est sans doute qu’à ses balbutiements quand un faisceau d’études montrent que le sacro-saint CDI n’est plus forcément le Graal pour beaucoup, notamment chez les jeunes générations.