Entreprises

L’adaptation nécessaire des chefs d’entreprise mosellans aux mutations du monde du travail

C’est peu de dire que la sphère d’entreprise connaît des phases d’évolution et de mutation en mode accéléré. Nouvelle vision du travail, arrivée de la génération des salariés millennials, recrutements chamboulés, phénomène de grande démission et de démission silencieuse… Les chefs d’entreprise en Moselle doivent s’adapter. William Legendre, CEO du cabinet de recrutement Optimiis, donne ici quelques clés essentielles pour mieux comprendre ce monde d’après qui est déjà le quotidien.

William Legendre : «L'entreprise doit s'adapter à de nouveaux modèles, revoir ses recrutements.» © : Optimiis.
William Legendre : «L'entreprise doit s'adapter à de nouveaux modèles, revoir ses recrutements.» © : Optimiis.

Il y a toujours ce miroir grossissant de ce que l’on observe de l’autre côté de l’Atlantique. Prenez ce phénomène de «grande démission», terme par lequel on désigne ces millions d’Américains ayant quitté brutalement leur emploi. L’une des conséquences systémiques de la crise Covid-19. William Legendre, CEO du cabinet de recrutement Optimiis, nuance toutefois ce tsunami de démissions : «La remise en question de chacun quant à son utilité sociale, dans son entreprise, cette quête de sens, cela n’est pas nouveau. On l’observait avant la pandémie. C’est vrai que les périodes de confinement ont amené beaucoup de personnes à se retrouver chez elles, sans travail. Là, vous avez le temps de réfléchir, sur vous-même. La grande démission touche aussi la France. Mais, le Français agit moins sur un coup de tête, il réfléchit avant de se lancer dans une autre voie. Ceux qui franchissent le cap le formalisent par une formation, une réorientation pour essayer une autre voie ou la création d’entreprise, qui n’a jamais été aussi élevée dans notre pays. Même, si les dernières données révèlent un début d’inversement de tendance.»

Une nouvelle typologie de salariés

Dans le jeu des recrutements qu’il manage, William Legendre fait cette remarque, pertinente : «Une nouvelle génération pousse la porte des entreprises, les 25-30 ans. Elle chamboule les codes, affirme, revendique des aspirations différentes de ses aînés. Elle veut une bienveillance, une bonne ambiance au sein de l’entreprise qu'elle peut potentiellement intégrer. Le salaire n’arrive qu’en 3e position des critères. J’entends un nombre croissant de candidats me demander si les entreprises pouvant les intéresser pratiquent la semaine des 4 jours.» Au demeurant, les employés démissionnaires et les corps de métiers les plus touchés aboutissent à un fait : des nombreux secteurs voyant partir leurs collaborateurs deviennent par la même les plus pénuriques en main-d’œuvre. On connaît ces secteurs en tension : BTP, hôtellerie et restauration, transports, industrie, nouvelles technologies et digital. Dès lors, face à ce faisceau conjoncturel, dont certains éléments vont indéniablement s’inscrire dans la durée, comment les entreprises doivent-elles s’adapter, pour ce qui reste, pour elles, le nerf de la guerre : recruter et fidéliser ? William Legendre y revient : «C’est là un changement complet de paradigme. Avec cette nouvelle génération de travailleurs, plus rien ne sera comme avant. Ainsi, ce n’est plus une génération multi-tâches. Elle attend un rôle précis, un poste bien établi et clair. Elle voudra imposer ses choix dès la phase de recrutement et ne sera pas motivée si l’employeur ne lui donne pas des pistes d’évolution dans l’entreprise, dès l’embauche. La nuance est importante. Dans les années antérieures, on recrutait parce que l’on avait un besoin à un instant précis. On en restait là. Il faut voir plus loin maintenant et se projeter au-delà du simple recrutement établi.»

Un changement de paradigme

La Covid-19, pléthore d’enquêtes et d’études abondent dans une synergique analyse, a accéléré chez beaucoup de collaborateurs, cette appétence pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La forte motivation pour le télétravail, même s’il n’est pas l’Eldorado tant dépeint, s’inscrit dans ce mouvement de plus grande souplesse, dans ses horaires, dans ses missions. Cette génération des millennials est aussi une génération nomade, travaillant un jour au bureau, l’autre jour à la maison, un jour différent dans un espace de coworking. Zappeuse, biberonnée aux réseaux sociaux, à l'instantanéité, à la consommation. Regardant avec attention le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, William Legendre argumente : «Il est un peu la concordance de tout ce que nous constatons actuellement. Son devenir passe par un profond changement de fonctionnement. Il est clair que dans les années futures, ses employés y seront beaucoup plus payés… et que nous paieront l’addition dans nos assiettes plus chère. Cela répond à une logique économique.» Pour endiguer, résorber, ce manque de personnel récurrent dans les secteurs visés précédemment, l’immigration peut-elle être un recours pour les entreprises afin de pourvoir ces postes pénuriques ?

L'immigration, une chance pour beaucoup d'entreprises

William Legendre répond par l’affirmative : «Ce n’est pas nouveau. Il y a toujours eu une immigration économique. C’est une évidence. On se pose des questions, on fait des polémiques, là où il ne devrait pas y en avoir. C’est se tromper de croire qu’on met un immigré n'importe où, n'importe quand, à n’importe quel poste. Cela répond à des besoins précis des entreprises, des bassins d’emploi. Et dans 9 cas sur 10, cela se passe très bien. Il faut sortir des clichés et des raccourcis simplistes. Actuellement, on voit des cliniques en quête d’aides-soignants recruter du personnel qualifié venant des pays de l’Est, du Maghreb. Ce sont des questions fondamentales pour l’économie française. Il y a également la question des salaires. Pour beaucoup de postes, notamment très qualifiés, ils sont trop bas. N’oublions pas que nous vivons dans un monde où la concurrence existe et est féroce. Dans l’industrie, on voit des Français partir au Canada. L’image de beaucoup de métiers reste par ailleurs à revaloriser. Je pense aux métiers manuels. Si les choses se sont améliorées, il reste du travail à faire en la matière.» William Legendre a cette conclusion, teintée de bon sens et de réalisme : «Pour le recruteur, l’un des leviers importants est de développer une typologie d’entreprise engagée, dans l’environnement, l’inclusion des personnes en situation de handicap, pour la parité hommes-femmes, une cause humanitaire. Clairement, cela est déjà un critère de sélection pour de nombreux candidats. Cela dépasse le simple cadre de l’image de l’entreprise. Au final, le chef d’entreprise doit répondre à de nombreuses mutations quant au travail même, à l’implication des collaborateurs. Il n’a pas d’autre choix que de faire évoluer son modèle. Je donne ce dernier exemple. La durée moyenne d’un commercial dans une entreprise est de 18 à 24 mois. C’est très court. La fidélité, l’attachement à l’entreprise ont tendance à s’effriter. C’est un bousculement des valeurs sans précédent. Cela pose la question de la motivation au travail, et toujours cette interrogation du sens à son existence.»