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Dans un contexte artisanal complexe, la CAPEB Moselle garde le cap

Dans un climat socio-économique incertain, l’artisanat du bâtiment s’adapte. La CAPEB Moselle, qui aura 30 ans l’an prochain, demeure ici une boussole, un facilitateur, accompagnant les professionnels dans les transitions. Son président, Émilien Gangemi fait le point sur l’actualité chaude, et plus généralement, sur la cohérence des services et des missions de l’entité dans les défis présents et à venir.

L'équipe de la CAPEB Moselle. © CAPEB Moselle.
L'équipe de la CAPEB Moselle. © CAPEB Moselle.

Par les temps présents, l’artisanat du bâtiment mosellan s'apparente au roseau. Il plie mais ne rompt pas. Même s’il a montré et montre toujours une capacité d’adaptabilité et de résilience face aux crises successives que nous connaissons depuis la Covid-19, il n’empêche, la période n’est guère aisée pour ces professionnels qui sont la mosaïque de l’économie de proximité sur nos territoires, auxquels, au passage, et ce n’est pas un point négligeable, ils apportent de l’attractivité et de l’emploi. Émilien Gangemi, président de la CAPEB Moselle, observe : «La baisse de l’activité de nos TPE du bâtiment est inquiétante.» Si les prix des matières premières se sont quelque peu stabilisés après une envolée comme rarement vue, les artisans doivent composer avec le contexte inflationniste, l’érosion du pouvoir d’achat des ménages… et le remboursement des Prêts garantis par l’État (PGE), hérités de la crise pandémique. Quadrature du cercle complexe.

Si le président de la CAPEB Moselle, Émilien Gangemi, constate un ralentissement de l'activité de l'artisanat du bâtiment, il en appelle à une mobilisation générale pour promouvoir et pérenniser les métiers de la branche. © CAPEB Moselle.

Le neuf en difficulté

En Moselle, l’activité de la construction neuve a chuté, pour les logements mis en chantier de - 6,3 % sur un an, à la fin du trimestre. Le repli est encore plus spectaculaire quant aux logements autorisés : - 35,2 %. La tendance baissière est partout dans l’Hexagone : la diminution sur douze mois des ventes de logements anciens est continue. L’accès au crédit s’étant durci, en même temps que les contraintes budgétaires des ménages, les tensions sur les ventes se transmettent progressivement au marché de la location : dans ce contexte, l’activité des entreprises artisanales du bâtiment est en pointillés. Correcte en volume mais l’effritement est régulier de trimestre en trimestre. On notera cette donnée encourageante en Moselle quant aux travaux liés à l’éco-PTZ, sur le premier trimestre : + 64,6 % sur un an. Cela nous mène au volet environnemental. Les travaux de la performance énergétique des logements stagnent au 3e trimestre. Un paradoxe à l’heure où le gouvernement fait de la transition énergétique l’une des priorités de l’État. La décision d’engager d’importants financements publics pour aider les ménages à faire réaliser des travaux et l’ampleur des marchés que cet enjeu représente contribueront-ils à dynamiser ce marché ? Les semaines, les mois à venir, seront scrutés attentivement.

«L'auto-rénovation ? Un non-sens»

Dans son analyse, Émilien Gangemi rejoint là l’observation de ses collègues, au sein des fédérations départementales : «La CAPEB le dénonce depuis des mois. La complexité du dispositif actuel est telle, les règles pour bénéficier des aides ne cessant de changer, particuliers et entreprises se détournent de ce marché.» La CAPEB a proposé pour débloquer ce frein plusieurs propositions : encouragement aux groupements momentanés d’entreprises, facilitation des parcours de travaux permettant aux ménages d’étaler dans le temps leurs travaux pour aboutir à une rénovation efficiente, mise en place d’un certificat de conformité en fin de travaux. Pour l’heure, ces axes n’ont pas été retenus par les pouvoirs publics. Le choix est porté actuellement sur la rénovation globale. Conséquence directe : ce modèle économique tend à favoriser les entreprises générales et les grands opérateurs au détriment des petites entreprises. Le président de la CAPEB Moselle revient sur cette idée «dans les tuyaux» gouvernementaux d’encourager les rénovations faites par les particuliers eux-mêmes, on l’appelle l’auto-rénovation : «C’est un non-sens. Si on veut atteindre les objectifs environnementaux que l’on s’est fixés, on y arrivera avec les artisans, dont c’est le métier, pas avec des particuliers bricoleurs. À un moment, il faut être cohérent. Dans ce cas, à quoi servent les artisans du bâtiment qui sont contraints par le RGE.»

Le dossier MaPrimeRénov'

Autre dossier sur la table : celui propre au dispositif MaPrimeRénov’. Lancé le 1er janvier 2020, il a remplacé le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et les aides de l'Agence nationale de l'Habitat (Anah) «Habiter Mieux Agilité». MaPrimeRénov’ est la principale aide de l'État pour les travaux de la rénovation énergétique, en France et en Outre-mer, accessible à tous les propriétaires, qu’ils occupent ou louent leur logement. Les artisans du bâtiment sont ici une courroie directe dans l’accès à ce levier. En 2024, le dispositif évoluera en deux piliers : un pilier performance pour réaliser des rénovations globales et un pilier efficacité pour permettre des travaux de rénovation par geste. Typologie des logements, des ménages, des accompagnateurs Rénov’, niveau de performance à atteindre (y compris si passoire thermique), étapes, exclusion, CEE. Tout est notifié. Du document écrit à la pratique sur le terrain et aux situations variées, il y a un pas… Conditions requises dans tous les cas : un DPE ou un audit énergétique du logement.

Carnets de commande moins remplis et trésoreries tendues

Encore contrastés au second trimestre, les soldes d’opinion sur les carnets de commande négatifs se voient sur l’ensemble du pays. La Moselle n’échappe pas à ce repli. Les corps de métiers sont tous affectés. Les entreprises d’aménagement-décoration-plâtrerie, de couverture-zinguerie résistent mieux que l’électricité et la menuiserie-serrurerie. Logiquement, compte-tenu de la situation dégradée du marché du neuf, le recul des volumes d’activité impacte davantage le secteur de la maçonnerie. On l’a compris, avec des carnets de commande moins remplis (77 jours de travail à venir début octobre, soit 22 jours de moins qu’un an auparavant), les trésoreries des entreprises artisanales sont à flux tendu : la baisse de l’activité et l’allongement des délais de paiement des clients l’expliquent. Un cinquième des entreprises sont concernées avec des besoins en trésorerie d’un montant moyen de 30 000 € (contre 22 000 € il y a douze mois). Sous le prisme mosellan, Émilien Gangemi constate un recul de l’emploi salarié dans les TPE de la construction : «La baisse est de 3 %. Elle est aussi visible chez les intérimaires avec 3,3 %). Si l’artisanat du bâtiment a maintenu son niveau d’emploi au 2e trimestre, ce n’est plus le cas. Cela confirme l’hypothèse d’un ressac de ses entreprises en 2024. Une dégradation risque de s’accentuer sur le marché du neuf, en raison notamment des conditions de financement moins favorables et des coûts de construction plus élevés, car les prix des matériaux demeure plus élevés que les l’inflation elle-même.»

Accompagner l'artisan

Dans ce panorama gris clair gris foncé, le rôle d’une entité comme la CAPEB Moselle - qui fêtera ses 30 ans l’an prochain - demeure essentiel. Il y a bien sûr le travail du quotidien, vers les artisans - un millier sont adhérents de l’organisation - : répondre aux questions juridiques, administratives et réglementaires, apporter des conseils personnalisés et adaptés à chaque situation, accompagner tout au long du développement d’une entreprise, permettre de réaliser des économies via des partenariats négociés, proposer des formations adaptées, notamment dans le cadre des transitions énergétiques et numériques, aux besoins des dirigeants et de leurs salariés. «Nous avons ici un rôle de facilitateur. Nous donnons à nos professionnels des outils qu’ils peuvent ensuite utiliser de manière autonome», explique Émilien Gangemi. Réactivité. Voilà bien le terme qui sied à la philosophie de l’équipe qu’il anime. Ainsi, le 20 octobre dernier, elle a organisé Cap’ chantiers pour permettre aux donneurs d’ordre et aux entreprises artisanales de se rencontrer. Cela répondait à ces difficultés de certains maîtres d'ouvrage à trouver des entreprises pour réaliser leurs marchés de travaux. D’un point de vue plus administratif, la CAPEB Moselle articule aussi un service interne où elle prend la main, à la demande de l’artisan, sur tout le montage d’un dossier MaPrimeRénov’. Elle met également une fois par mois sur ses réseaux sociaux les chantiers de ses artisans pour leur procurer de la visibilité. Trois exemples parmi d’autres.

«Promouvoir nos métiers»

Parmi ses autres missions figure un point sensible : la promotion de ses métiers. C’est un mal récurrent, à double titre. Dans l’immédiat, les entreprises artisanales du bâtiment peinent à recruter, cherchent de la main-d’œuvre. Dans le top 20 des métiers pénuriques, ceux du bâtiment demeurent aux premières places. Si les lignes bougent, si les regards changent, sous l’impulsion des acteurs de la branche, les effets ne sont pas encore tangibles pour inverser une tendance lourde, vieille de plusieurs années. Émilien Gangemi a son explication : «Durant longtemps, trop longtemps, on a dénigré les métiers manuels. On le fait encore et c'est regrettable. C’est encore trop ancré. Pourtant, dans le bâtiment on peut faire de belles carrières, les salaires sont loin d’être négligeables. Nos métiers recrutent des jeunes, des moins jeunes, des apprentis, des personnes en reconversion professionnelle, des femmes. La pénibilité n’est plus ce qu’elle était il y plusieurs décennies. Simplement, c’est comme tout, il faut avoir envie de travailler et aimer ce que l’on fait.» La CAPEB Moselle est ici présente aux côtés tant des familles, que des jeunes, des acteurs de la chaîne éducative et de l’insertion dans l’emploi, multipliant les initiatives et les présences sur le périmètre mosellan.

Tracer les sillons du futur

Via ses services formation et qualification, juridique et social, information, technique, emploi, elle trace sa route, au service des artisan établis, de ceux qui leur succèdent ou le feront demain. Émilien Gangemi est convaincu d’une chose : «la force du réseau.» Ces derniers mois, la CAPEB nationale, dans une démarche partenariale, a obtenu de réels succès, qui, invariablement, essaiment sur les territoires, espace mosellan compris. Pêle-mêle : l’adaptation de tous les CAP des métiers du bâtiment aux enjeux énergétiques et écologique, l’assouplissement des restrictions de circulation (ZFE, à Metz notamment), la limitation du nombre d’entreprises concernées par l’obligation d’adhésion à un organisme, le maintien de la TVA à 10 % pour tous les travaux de rénovation des logements de plus de deux ans, l’augmentation des cofinancements des formations des artisans et de leurs salariés, la pérennisation pour les TPE du bâtiment de l’aide 6 000 € pour la première année d’exécution du contrat préparant aux CAP, BP et Bac Pro, au moins jusqu’en 2027, la création d’un fonds pour accompagner les entreprises dans leurs actions de prévention de l’usure professionnelle, la mutualisation du coût de la prévention de la pénibilité (C2P) en dehors de l’entreprise, le report de la généralisation de la facturation électronique, l’engagement de l’État à simplifier les dispositifs RGE, CEE, Ma PrimeRénov’… Liste non exhaustive. Signe de son évolution, la CAPEB Moselle vient de rénover entièrement son bâtiment, plus fonctionnel, plus adapté, plus immersif. Modernisme et innovation ne signifient pas perte de valeurs. Tout le contraire. Ici, c'est une marque de fabrique, un ADN. Demain, c'est déjà maintenant.

Lors de la récente Rentrée du bâtiment. © CAPEB Moselle.