Gazettescope

Cette immigration du travail d’ailleurs et d’ici…

La loi immigration fait couler beaucoup d’encre et nourrit bien des fantasmes. Elle passe à côté d’une évidence. L’immigration est une aubaine économique pour un pays. En fait, elle est indispensable et incontournable. La Moselle en est un vibrant exemple. La Gazettescope se penche sur l’immigration d’hier et d’aujourd’hui.

Chercheurs, ingénieurs, cuisiniers, chaudronniers, ouvriers qualifiés du bâtiment… Les besoins en main-d’œuvre sont immenses. La nouvelle loi immigration, votée le 19 décembre dernier, tend à favoriser la régularisation des travailleurs sans papiers pour ces métiers en tension. Toutefois, les propositions initiales du gouvernement d’une délivrance automatique de carte de séjour «travail dans les métiers en tension», comme l’accès immédiat au travail des demandeurs d’asile des pays les plus à risques n’ont pas été retenus. Selon le texte, «les travailleurs sans papiers exerçant dans les métiers en tension pourront se voir délivrer à titre exceptionnel, comme aujourd’hui, une carte de séjour travailleur temporaire ou salarié. Cependant, ils ne seront plus obligés de passer par leur employeur pour solliciter cette carte. Ils devront néanmoins justifier d’avoir travaillé douze mois consécutifs ou non au cours des vingt-quatre derniers mois, résider en France depuis trois ans et de leur intégration. Les préfets disposeront d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ce titre. Cette mesure sera expérimentée jusqu’en 2026.»

Un besoin incontournable

Le texte sur la loi immigration vise principalement à restreindre celle-ci. Et au final, il n’y a pas grand-chose sur l’immigration du travail. Pourtant, nous le verrons plus en avant, elle a tant apporté à l’économie hexagonale depuis un siècle. Il suffit de constater les difficultés rencontrées par la majorité des entreprises pour recruter. Il y a des métiers peu qualifiés concernés. Dans le bâtiment, la restauration, l’agriculture : trois secteurs employant des immigrés. On peut évoquer le transport de personnes ou le ménage dans les hôtels. Les métiers qualifiés en tension existent aussi comme les pharmaciens. La liste est longue : médecins, infirmiers, aides-soignants. La France va manquer de 100 000 personnes pour s’occuper des personnes âgées dépendantes. Clairement, on le voit avec les débats enflammés, les postures idéologiques et souvent démagogiques des uns et des autres : notre pays perd là tout esprit rationnel et navigue à contre-courant des besoins économiques. Le patron du Medef, Patrick Martin, parlait de près de quatre millions d’immigrés nécessaires à l’économie française d’ici 2030.

La Moselle, terre d'immigration

Il faut le redire. Il s'agit bien sûr de s’occuper des personnes en situation irrégulière commettant des crimes et représentent un danger. Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec le fait que la quasi-totalité, plus de 90 % de personnes qui émigrent, le fait pour des motifs économiques et pour venir travailler. La France, 7e puissance économique mondiale, ne figure qu’à la 20e position en termes d’attractivité pour la mobilité internationale. Pas étonnant, que dans la course aux vaccins sur la Covid-19, notre pays a été absent : les vaccins ARN Messenger ont tous été inventés par des chercheurs étrangers. S’il est un département qui sait ce qu’est l’apport concret de l’immigration, c’est bien celui de la Moselle. Ainsi, elle recense les deux tiers des quelque 30 000 immigrés italiens lorrains. Les Transalpins demeurent en 2023 la première population venue de l’étranger, même si elle décline depuis une trentaine d’années. Alors, pourquoi l’immigration ? La situation de la Moselle épouse celle de la Lorraine.

Souvenons-nous des leçons de l'Histoire...

Dans notre région, marquée par l’Histoire, plusieurs siècles durant, région frontière entre l’espace francophone et germanophone, entre le catholicisme et le protestantisme, région qui a subi toutes les guerres depuis le XVe siècle, de façon meurtrière sur son territoire, jusqu’à la Seconde guerre mondiale. La Lorraine reste une région sous-peuplée historiquement, ce qui explique, qu’à partir du grand développement de l’industrie à la fin du XIXe siècle, elle sera l’une des régions, en France et en Europe, qui va attirer le plus de populations étrangères. Ainsi, en 1919, après la Première guerre mondiale, la France manquait de main-d'œuvre pour reconstruire le pays. Les gouvernements français et polonais organisèrent la venue massive de travailleurs. Le premier train quitta la Pologne juste avant Noël. Les mines attirèrent les Polonais à Forbach, Sarreguemines, Petite-Rosselle, Saint-Avold. En 1926, on compte 40 000 Polonais en Lorraine. Au fil des décennies, d’autres immigrations vont leur succéder, les flux polonais (joug soviétique) et italien (la Péninsule n’exporte plus ses travailleurs) se tarissant. Arrivent en Lorraine, une immigration espagnole fuyant le franquisme, portugaise échappant à la dictature de Salazar, maghrébine et turque. L’immigration des années 70 fait sa place aux réfugiés cambodgiens et laotiens. Après la chute du mur de Berlin en 1989 et la mise en place des accords de Schengen permettant une circulation plus aisée au sein de la Communauté européenne, les courants migratoires se modifient pour se tourner majoritairement vers les pays de l’Est de l’Europe. En Lorraine, les flux migratoires augmentent depuis le début des années 2000, aussi importants que ceux des années de l’immédiat après-guerre (entre 3 000 et 4 000 arrivants chaque année). On compte actuellement moins d’un immigré nouveau tous les ans pour 600 habitants déjà installés en Lorraine. Bien loin d’une supposée submersion migratoire.

La création d'entreprise des immigrés

Il est un autre paramètre à mettre en exergue. Celui de la création d’entreprises par les immigrés. Bien souvent, elle résulte de personnes qualifiées ayant étudié et titulaires d’un doctorat. En somme, à toutes les époques, on a fait appel à des immigrés qui servaient essentiellement à remplir les places de travail non désirées par les autochtones. Dans toutes les statistiques que l’on peut compulser sur l’histoire du travail en Lorraine, on remarque que l’on pouvait atteindre 90 % de travailleurs étrangers au fond des mines de fer, 80 % dans les usines sidérurgiques, les hauts-fourneaux, les laminoirs. C’est une évidence : quand on enlève des immigrés pour des emplois, on ne met pas des Français à la place. La loi immigration, avec ses qualités si mal explicitées, ses larges imprécisions et ses défauts visibles, ne démontre aucunement que l’immigration peut être une réelle aubaine pour une économie. Dans des métiers pénibles, mal payés, aux horaires décalés, la pénurie de candidats est criante. Or, une entreprise qui ne trouve pas de salariés, soit elle met la clé sous la porte, soit elle renonce à se développer, à créer de l’activité, soit elle délocalise. La France, enfin, néglige l’immigration de travail qualifié, quand le Canada ou la Suisse en ont fait un modèle économique. À coup sûr, l'immigration devrait faire l'objet de débats éclairés, non fantasmagoriques et surannés, mais portés par une vision novatrice. Nous oserions écrire intelligente et non à courte vue. Pour cette fois-ci, c'est raté. Encore raté...