Les réseaux explosent, attention à l’implosion…

Le business pur et dur, l’ADN aujourd’hui d’une grande majorité de réseaux sous couvert de bienveillance.
Le business pur et dur, l’ADN aujourd’hui d’une grande majorité de réseaux sous couvert de bienveillance.

Près de 10 000 répertoriés aujourd’hui dans l’Hexagone, pas loin de 200 pour le seul département de Meurthe-et-Moselle. Qu’ils soient de business pur et dur, de services pratico-pratiques,  de valorisation de savoir-faire, de réflexions prospectives, d’entraide collective en passant par les cercles philanthropiques jusqu’au fameux think tank (groupe de réflexion), les clubs et réseaux de la sphère entrepreneuriale se multiplient comme des petits pains. Une explosion certaine aux multiples raisons. Entre besoin de contacts humains face au diktat de la digitalisation et des réseaux sociaux, quête de valeurs et de sens ou tout simplement pour rompre le redondant isolement du chef d’entreprise, certains pilotes de ces réseaux surfent sur ces besoins et parfois faiblesses des potentiels adhérents. Des adhérents de plus en plus consommateurs entraînant la création d’une véritable bulle spéculative. Les réseaux sont-ils réellement devenus un marché ? Leur institutionnalisation grandissante semble s’y apparenter de plus belle.

Une jungle aux espèces très variées ! Le terme peut apparaître fort mais il semble bien être approprié pour définir l’écosystème actuel des clubs et réseaux d’affaires (ou non). Avec plus de dix mille structures enregistrées sur le territoire national, près de 200 pour le seul département de Meurthe-et-Moselle (un chiffre facilement multipliable par trois voire quatre si l’on prend en considération la dimension régionale Grand Est), cet écosystème parfois mystérieux (voire même faisant l’objet de véritables fantasmes) connaît une véritable explosion depuis ces dernières années et notamment dans notre région. L’importance des réseaux dans l’univers du business et des affaires n’est plus à faire. L’Assemblée des Chambres françaises de commerce et d’industrie en a d’ailleurs fait une priorité et cela juste après la crise financière de 2008 où bon nombre d’entrepreneurs ont ressenti le besoin à se rapprocher pour échanger.

Entre-soi et isolement

«S’il y a dix ans les entreprises étaient plus réticentes à s’engager dans les réseaux, aujourd’hui elles tentent réellement de s’y impliquer. Elles expriment leur volonté de constituer des réseaux locaux, de rejoindre des communautés d’entrepreneurs qui partagent les mêmes valeurs et les mêmes sujets», assure l’organe représentatif consulaire. État de fait indéniable additionné «à la recherche continue du fameux isolement du chef d’entreprise et paradoxalement le boom des réseaux sociaux a poussé les entrepreneurs à renforcer leurs besoins de se voir et d’échanger. Les réseaux sociaux peuvent entraîner une sorte d’isolement tout comme d’ailleurs l’entre-soi qui peut être marqué dans certaines typologies de réseaux», analyse Christophe Schmitt, vice-président de l’Université de Lorraine en charge de l’Entrepreneuriat et de l’Incubation et directeur du Peel (Pôle Entrepreneuriat Étudiant de Lorraine). «La grande question à se poser aujourd’hui face à cette explosion des réseaux est de savoir réellement qu’elles sont leur finalité et naturellement leur durée de vie dans le temps.» L’universitaire pointe du doigt l’effet d’aubaine provoqué par une conjoncture délicate, des dirigeants un peu perdus et en quête d’affaires pensant trouver toutes les solutions à leur problème en intégrant une structure de type réseaux. «Celui qui pense cela a tout faux !» Du business pur et dur avec une notion d’apporteur d’affaires peut facilement séduire et attirer l’attention du potentiel adhérent. Reste à ne pas tomber dans les pièges de l’entre-soi lié au fonctionnement même de certaines entités. Le tout avec un sentiment pour certains membres de redevabilité voire même de cloisonnement. Le sentiment d’appartenance semble bien avoir ses limites. Ce qui peut légitiment interroger sur la finalité de certaines structures. Cette typologie de réseaux fonctionnement comme de véritables organisations avec obligation de résultat et bonification mercantile pour les équipes animatrices par rapport au nombre d’inscriptions d’adhérents enregistrées sur une période.

La concurrence ne fait que commencer

Légitime dans un monde libéralisé à outrance ? La question peut se poser et tout semble bien être une question de valeurs et disons le terme d’éthique. «Chaque réseau n’est pas fait pour tout le monde. Notre orientation est purement business et c’est très clair dès le départ. La valeur de base demeure l’humain. Être dans un réseau, ce n’est pas être simplement assis sur sa chaise, il faut en être acteur. Le réseau aujourd’hui, c’est un outil pour booster son business. Il faut s’y impliquer pour l’utiliser d’une façon optimale.» Conception affichée par une responsable régionale d’un réseau 100 % business. Les réseaux purement d’affaires font partie de ceux qui semblent s’être le plus développés, conjoncture oblige et évolution courtermiste d’un certain pan de la sphère entrepreneuriale ! «Et l’effet de concurrence ne fait que commencer ce qui nous entraîne à nous interroger sur la fidélisation de nos adhérents. La visibilité des grands réseaux suscitent naturellement des aspirations chez certains et beaucoup s’enchérissent sur ce qu’ils peuvent réellement proposer», continue la tête de réseau régional. Une surenchère en matière d’offres (voir encadré) palpable au point de rendre de moins en moins visible la finalité même du groupement. De là à utiliser le terme de marché, il n’y a qu’un pas. Franchi déjà par bon nombre : «Dès qu’il y a une notion de cotisations, d’adhésion, de concurrence affirmée, il y a forcément marché.» Une juste évolution des choses pour certains, une dérive très inquiétante pour d’autres mais qui apparaît bien dans l’ère du temps.

Entre avatars et réelles nouveautés

Dans une logique de concurrence bien présente aujourd’hui dans l’univers des réseaux où la question de la fidélisation des adhérents, devenus au fil du temps de véritables consommateurs volatiles de services, est plus que posée. Des réseaux, il s’en crée aujourd’hui d’une façon quasi frénétique au point d’y perdre son latin en matière de définition et de finalité réelle. Depuis ses cinq dernières années, plusieurs structures nationales (voire internationales) ont tissé leur toile sur les différents territoires chamboulant l’écosystème établi. À côté des réseaux dit référents, bon nombre proposent aujourd’hui une approche jugée adaptée aux réels besoins des chefs d’entreprise. De l’échange de marchandises et de services entre entreprises (un genre de troc avec une monnaie propre via une plateforme, modèle mis en avant aujourd’hui par le réseau Barterlink) en passant par l’accès à une force de frappe version services proche des grands comptes pour les TPE et PME (le modèle de Dynabuy), les finalités sont aujourd’hui tout autre que la simple recherche de compétences et d’ouverture d’esprit. À ces nouveaux concepts jugés vendeurs s’ajoutent des réseaux, disons «avatars», créés par certains déçus de structures déjà en place. Mais à bien y regarder, leur fonctionnement diffère peu. Pas facile de réinventer la poudre…