«La vague de dépôts de bilan n’arrivera pas forcément à l’automne, mais au printemps 2021»

Charles-René Tandé, président du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables.
Charles-René Tandé, président du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables.

Après avoir tiré les enseignements des bonnes pratiques nées durant la crise, le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables appelle les pouvoirs publics à les pérenniser. Focus sur ses propositions pour la relance économique. Entretien avec Charles-René Tandé, président du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables.

Quelle est la situation des entreprises à l’heure actuelle ?

Mi-mars, le choc a été rude pour les chefs d’entreprise, avec beaucoup de fermetures immédiates et la mise en place du télétravail ou de l’activité partielle. Elles ont dû solliciter des aides –PGE, fonds de solidarité…– pour compenser l’absence d’activité. Les banques doivent apporter les flux de trésorerie nécessaires pour que les entreprises puissent continuer à régler leurs fournisseurs. Il est essentiel de ne pas arrêter le crédit inter-entreprises et d’éviter ainsi les faillites. Ces premières mesures d’urgence ont révélé leur efficacité et permis, pour le moment, d’éviter un trop grand nombre de dépôts de bilan. Aujourd’hui la situation dépend beaucoup des secteurs d’activité.

Envisagez-vous un rebond des faillites d’entreprise ?

Les entreprises ont encore un an avant de devoir commencer à rembourser leur emprunt, en avril 2021. De fait, la vague de dépôts de bilan n’arrivera pas forcément à l’automne, mais au printemps 2021, au fur et à mesure que les entreprises devront commencer à rembourser. Pour le moment elles ont encore de la trésorerie. En parallèle, beaucoup de dirigeants risquent de passer la main. La crise peut accélérer le phénomène de cessation d’activité et anticiper les cessions et départs à la retraite.

L’enjeu pour les entreprises est de réussir à avoir un niveau d’activité suffisant pour couvrir leurs frais fixes. Nous ne courons pas obligatoirement vers la catastrophe. Une entreprise peut supporter un arrêt de trois mois. Mais certains secteurs sont très touchés, et encore complètement à l’arrêt, comme l’événementiel. Si l’Etat a mis en place des dispositifs spécifiques, cela ne remplace pas une activité normale. Nous ne savons pas à quel horizon les entreprises du secteur pourront reprendre. Or le niveau de reprise sera déterminant pour leur survie. La grande inconnue étant justement le redémarrage.

Quelles ont été les bonnes pratiques adoptées par les entreprises pendant la crise ?

Les entreprises qui sont gérées de façon saine, avec prévoyance et qui investissent régulièrement sont plus performantes et mieux armées pour passer les crises. Les plus fragiles, qui n’ont pas suffisamment de réserves financières, risquent de ne pas tenir également. Celles qui avaient déjà investi dans la transition numérique étaient plus prêtes que les autres. De même, celles qui avaient mis en place les outils nécessaires à la pratique du télétravail étaient capables de poursuivre leur activité, tandis que d’autres ont beaucoup souffert.

Il est important qu’à la rentrée les entreprises prennent le temps d’établir une situation intermédiaire pour identifier l’impact du coût de la crise et prouvent leur capacité à résister et la viabilité de leur modèle économique. Elles ne doivent pas attendre un an pour connaître les résultats de 2020.

Quelles mesures de soutien à l’économie française avez-vous proposées au gouvernement ?

Nous avons axé nos réflexions sur trois points : la transition numérique, le droit du travail et le financement des entreprises de proximité. Comme l’a annoncé Bruno Le Maire pour son plan de relance, il faut favoriser la transition numérique des petites entreprises de proximité. Soit les inciter à investir dans la digitalisation, à travers, par exemple, un crédit d’impôt digital, à l’image du crédit d’impôt recherche, qui prendrait en compte toutes leurs dépenses. Les mesures mises en place de façon temporaire, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, qui fonctionnent, comme la signature électronique, la transmission de documents électroniques ou la tenue de réunions administratives en visioconférence devraient quant à elles être pérennisées.

Pour sécuriser le recours au télétravail et l’encourager, il faut adapter le droit du travail, repenser les règles de durées du travail et imaginer des indemnités forfaitaires non imposables pour défrayer les salariés en télétravail. Enfin, pour favoriser le développement des entreprises de proximité et les aider à très court terme à reconstituer leurs fonds propres, nous proposons de mobiliser l’importante épargne des Français à destination des entreprises de proximité, grâce à des mesures incitatives –autorisation des déblocages des contrats PEE, PERCO, Madelin pour investir au capital des TPE. Les dispositifs existants s’appliquent souvent à des entreprises plus importantes, et non pas aux plus petites.

Cet aspect de territoire de proximité est particulièrement important à l’heure où les régions constituent un échelon trop important. C’est au niveau des départements ou de l’intercommunalité qu’il faut organiser la collecte auprès de Français prêts à investir dans une entreprise de leur territoire. On peut par exemple imaginer mettre en place le système Girardin, qui existe dans les territoires d’Outre-Mer, qui consiste à réduire les impôts des Français qui investissent dans des entreprises de proximité.

Côté profession, de quelle manière les experts-comptables ont-ils été impactés par la crise ?

Les 21 000 experts-comptables et leurs 130 000 collaborateurs se sont fortement mobilisés depuis trois mois aux côtés de 2, 5 millions d’entreprises, principalement des PME et TPE. Nous avons été très présents, avec une surcharge de travail à cette période. On se doit d’être des professionnels présents et dynamiques. Les créateurs et chefs d’entreprise ont particulièrement besoin de soutien sur leur lancement, leur organisation et la gestion de la dette. De par notre rôle de conseil et d’accompagnement des entreprises, nous devrions tenir. En revanche, s’il y a des dépôts de bilan, les cabinets risquent de souffrir l’an prochain.

Propos recueillis par Charlotte de SAINTIGNON