Un plan de relance européen conçu dans la douleur

Un plan de relance européen conçu dans la douleur

Les 27 États membres de l’Union européenne (UE) ont du mal à s’entendre sur les conditions du plan de relance européen de 750 milliards d’euros proposé par la Commission européenne, malgré le soutien de la France et de l’Allemagne…

Le 9 juin dernier, les ministres des Finances des différents États membres de l’UE ont commencé à se pencher sur la proposition de la Commission européenne consistant à relancer l’économie à la faveur d’un emprunt collectif de 750 milliards d’euros. D’emblée, comme lors de l’élaboration du budget européen commun pour la période 2021-2027, des divergences profondes sont apparues entre d’un côté, quatre pays appelés « les frugaux » (Danemark, Autriche, Suède et Pays-Bas) et tous les autres qui cherchent surtout à sauver les apparences.

De nombreuses questions pour 750 milliards d’euros

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a jeté un pavé dans la mare en proposant, à la fin du mois de mai, de compléter le budget révisé de l’UE pour la période 2021-2027, d’un plan de relance de 750 milliards d’euros (500 milliards redistribués sous forme de subventions, dans le cadre du budget européen et 250 milliards d’euros sous forme de prêts). Nouveauté, cette somme serait empruntée par la Commission au nom de l’Union européenne — ce qui en fait un emprunt collectif — et serait ensuite redistribuée vers les pays les plus en difficulté à la suite de la crise sanitaire, c’est-à-dire essentiellement ceux du sud de l’Union européenne.

Hélas, le diable se cache dans les détails. Quels seront les critères de répartition des subventions (population, PIB par habitant, taux de chômage…) ? Malgré les dénégations de Bruxelles, doit-on s’attendre à une conditionnalité sous forme de réformes structurelles, comme c’est le cas pour les aides fournies par le Mécanisme européen de stabilité (MES) ? Pour chaque pays, quelle sera la clé de répartition entre subventions et prêts ? Quelles seront les modalités de ces prêts (durée, montant, moratoire de remboursement…) ? Et qu’en est-il des nouvelles ressources nécessaires pour équilibrer la hausse du budget européen, si l’on ne souhaite pas augmenter les contributions des États membres (taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, nouveaux impôts sur les entreprises numériques…) ? Bref, autant de sujets majeurs de crispations…

Les Pays-Bas en tête de l’opposition

Dès le début des négociations, les quatre «frugaux» ont contesté autant le montant, jugé trop élevé, de ce plan d’aide que le principe même de la subvention sans contrepartie précise. On ne peut s’empêcher d’y revoir une réminiscence de l’opposition entre pays du nord et du sud de l’Europe sur la bonne gestion des finances publiques, qui avait été à la base de la crise politico-économique de la zone euro à partir de 2010… La grande différence est que la chancelière allemande, Angela Merkel, semble cette fois s’être ralliée à la position française !

C’est finalement le gouvernement néerlandais qui s’est montré le plus réticent à ce plan de relance européen, certainement en raison du tropisme austéritaire des parlementaires néerlandais. Ainsi, la question de la conditionnalité des aides est devenue centrale, d’autant que le rabais sur la part versée par les Pays-Bas au budget européen semble compromis. Pour lever ces réticences, Emmanuel Macron s’est rendu en personne à La Haye, le 23 juin, mais le communiqué de presse officiel ne laisse pas entrevoir de compromis à ce stade.

Le retour des coronabonds ?

D’aucuns veulent voir dans cette dette commune un prélude aux célèbres eurobonds, opportunément rebaptisés coronabonds par le président du Conseil italien, lors d’un sommet par vidéoconférence le 26 mars dernier. Mais ce serait aller bien vite en besogne, car pour l’instant il s’agit tout au plus d’une dette unique émise par l’Union européenne. Elle ne ressemble en rien à une dette mutualisée qui entraînerait, quant à elle, une véritable forme de solidarité entre les pays européens, sous la forme d’un taux d’intérêt commun et surtout d’une garantie solidaire. Autrement dit, on est très loin d’un financement européen mutualisé des déficits publics nationaux, qui demeure la ligne rouge à ne pas franchir en Allemagne et aux Pays-Bas, tant l’opinion publique dans ces pays y est viscéralement opposée.

C’est peut-être pourquoi les chefs d’État préfèrent concentrer leur communication sur des aspects secondaires ou techniques, répétant à l’envi que cette première négociation n’en était pas une en réalité, en particulier parce qu’elle avait lieu en visioconférence, bref qu’il s’agissait en fait d’une simple prise de pouls avant un nouveau sommet prévu les 17 et 18 juillet prochains à Bruxelles.

Dans ce contexte, évoquer les prémices d’un fédéralisme européen semble exagérément optimiste, à moins que cela ne relève, en fin de compte, d’une forme de méthode Coué économico-politique en situation de crise…

Raphaël DIDIER