Écologie

Santé, climat : la crise sanitaire, un stress test pour l'avenir ?

Crise sanitaire, crise climatique... Les deux présentent des points communs, et la première pourrait servir de «leçon» pour affronter l'avenir. Un pari loin d'être gagné, tant les mécanismes sociétaux et politiques peinent à s'extraire du «monde d'avant».

«Quel impact de la crise sanitaire sur notre perception de la crise climatique ?» Tel était l'intitulé de la table ronde qui s'est tenue le 7 octobre dernier, dans le cadre du 22e colloque annuel du SER, Syndicat des énergies renouvelables, qui représente 400 acteurs de la filière. Qu'avons-nous appris de la pandémie ? Comment ont réagi les sociétés, les politiques publiques ? L'enjeu est majeur, car ces crises, sanitaire et climatique, posent un même défi à l'humanité entière. En effet, elles possèdent un certain nombre de points communs. En particulier, «elles touchent avant tout les plus défavorisés», souligne Hugo Viel, 26 ans, activiste pour l'écologie et la justice sociale. Autre point commun, elles sont toutes deux des crises annoncées. Si les climatologues alertent la communauté internationale depuis longtemps, «dans le monde des spécialistes des maladies infectieuses, cette crise sanitaire était annoncée», explique Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l'Institut Pasteur. Les scientifiques avaient en effet dressé un «portrait-robot» du virus capable de provoquer une pandémie (contagieux avant les symptômes, taux de létalité ..). Déjà, plusieurs alertes avaient eu lieu, avec le SRAS, la grippe aviaire ou le H1N1. C'est finalement le virus du Covid 19 qui a réuni toutes les caractéristiques inéluctables au déclenchement de la pandémie.

Mais les deux types de crises, sanitaire et climatique, présentent aussi des différences, lourdes de conséquences, du point de vue de la réponse à y apporter : au tempo brutal de l'épidémie s'oppose celui des effets du changement climatique, plus insidieux. Autre différence, «avec l'épidémie, on peut prendre des mesures, certes difficiles, mais dont on voit rapidement les effets. Pour le climat, c'est très différent. Même si l'on prenait toutes les mesures nécessaires, la situation continuerait à se dégrader. Politiquement, il est très difficile de militer pour l'urgence du long terme», analyse Étienne Klein, philosophe des sciences, directeur de recherches au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Une réalité qui soulève une question fondamentale, pointe Éric Orsenna, membre de l’Académie Française : «la démocratie est-elle capable d'intégrer le long terme ?»

L'amnésie collective

L'enjeu de la réponse à apporter aux crises, qui ne saurait être limité à la seule problématique des politiques publiques, invite à regarder de près les réactions face à la pandémie, le fonctionnement de la société et les réflexes des individus. «Ce que je regrette, c'est qu'après le premier confinement, pendant deux mois, on n'a fait que parler du monde d'après. On parlait de changer de vie, de solidarité, d'empathie.... Puis, me semble-t -il, cela a été oublié. Tout est reparti comme avant», s'emporte Hugo Viel. Un point de vue qu'étaye Étienne Klein : «dans l'histoire, aucune épidémie n'a été suivie par autre chose qu'une amnésie collective, une envie de récupérer le temps perdu...». Sous-jacent, un enjeu majeur : la crise de la Covid-19 a mis en lumière un mécanisme de la société qui impacte fortement la nature de la réaction collective : son rapport à la science. «La crise du Covid a montré un relatif échec de la vulgarisation», note Étienne Klein. En fait, celle-ci n'a touché que les individus qui y sont a priori sensibles.

Globalement, la pandémie a surtout vu se déployer une quantité redoutable de fake news, notamment concernant les vaccins supposés dissimuler la 5G, ou sur l'origine du virus, qui aurait été «inventé» par la CIA ou le KGB, au choix... «Le pacte de confiance avec le savoir est rompu», souligne Éric Orsenna, qui redoute une opposition croissante entre frénésie d'innovation sans recherche de sens, d'une part, campement sur un positionnement buté réactionnaire, de l'autre. Si l'enjeu du rapport à la science, et, plus largement, à la connaissance et à l'information est crucial, c'est aussi parce que le changement dans nos sociétés ne saurait être décrété. Sur le sujet du climat, «il est très important que l'ensemble de la population s'approprie ces enjeux.(…). Il faut faire très attention, dans l'élaboration des politiques publiques, à donner la parole à tous, s'assurer qu'elles soient bien comprises», alerte Corinne Le Quere, présidente du Haut-conseil pour le Climat.

«Qu'attendons-nous ?»

Autant de sujets à affronter, dans un futur où crises climatique et sanitaire semblent bien destinées à se multiplier. Sur le front sanitaire, d'après Arnaud Fontanet, «aujourd'hui, le plus souvent, l'émergence des virus est due au passage de l'animal à l'homme (…). Vu la densité de la population et sa circulation, il est impossible de l'empêcher. Il faut surveiller les foyers potentiels dès leur création.» Par exemple, pour les virus issus du monde sauvage, comme Ebola avec les primates, il faudrait trouver des activités de substitution pour les chasseurs de singes. Concernant les virus qui se développent dans des élevages de grande densité, porcins ou volailles, par exemple, ces derniers devraient être redimensionnés et très surveillés. Difficile, en revanche, d'après le scientifique, d'anticiper quel sera le prochain virus. «Il en existe des centaines, qui font des recombinaisons entre eux...», note Arnaud Fontanet. Lequel préconise une véritable stratégie d'équipement de stocks de matériel sanitaire nécessaire en cas de crise, qui pourrait utilement être mutualisés à l'échelle européenne.

Sur le plan du climat aussi, la bataille est très loin d'être gagnée : certes, la crise sanitaire a provoqué une chute des émissions de gaz à effet de serre, mais cette dernière était circonstancielle, liée à la baisse d'activité et de circulation générée par le confinement. Et l'impact des plans de relance est loin d'être totalement satisfaisant. En France, un tiers des investissements vont dans le sens de la trajectoire vers la neutralité carbone. Toutefois, souligne Corinne Le Quere, «il faudra évaluer les effets du reste des investissements. Et il faut également maintenir cette trajectoire sur le long terme, intégrer le paramètre du climat dans toutes les décisions.» Par exemple, dans l'éducation, les investissements pour la formation devraient être tournés vers des emplois verts... Au total, les mesures prises actuellement semblent bien insuffisantes à Hugo Viel, qui souligne en particulier la poursuite des investissements dans les énergies fossiles. «C'est l'ennemi, il faut en sortir. Qu'attendons-nous ?»