Emploi

Pénurie de main-d’œuvre et emplois non pourvus : un paradoxe ?

Certains secteurs comme l’hôtellerie, la restauration et le bâtiment sont en peine pour recruter de la main-d’œuvre, situation qui n’est pas propre à la France. Pourtant, de nombreuses offres d’emploi ne trouvent pas preneur…

Après cette crise caractérisée par l’arrêt volontaire de l’activité économique et de la circulation des personnes, l’embellie économique - dont tout le monde espère qu’elle sera plus que conjoncturelle - conduit à revigorer la production des entreprises. Hélas, comme cette reprise a lieu au même moment dans le monde entier, il devenait inévitable que des goulets d’étranglement se forment dans de nombreux secteurs (pénurie de semi-conducteurs, pénurie de bois…). Et désormais, c’est la main-d’œuvre qui vient à manquer !

Des difficultés de recrutement dans de nombreux secteurs

Selon une récente enquête de la Banque de France, la moitié des chefs d’entreprise interrogés déclarent rencontrer des difficultés à recruter, avec une accentuation durant l’été dans l’industrie (36 % au mois d’août, contre 31 % en juillet) et les services (55 % en août, contre 53 % en juillet) ; dans la restauration, où deux tiers des dirigeants expriment de telles difficultés au mois d’août (44 % en juillet), 70 % dans les services informatiques (64 % en juillet). L’on peut facilement ajouter, entre autres, la logistique, le bâtiment, l’hôtellerie, les services à la personne à cette liste des secteurs connaissant des difficultés de recrutement. De telles tensions se retrouvent du reste chez les principaux partenaires économiques de la France : Italie, Allemagne, Royaume-Uni…

Les entreprises peuvent dorénavant se retrouver en rupture de production, tant en raison des pénuries de matières premières que par manque de salariés. Avec des répercussions en cascade, tant au niveau national qu’international. Dans le premier cas, une pénurie de cueilleurs peut, par exemple, mettre l’agriculteur en difficulté, ce qui conduit à des livraisons incomplètes dans les grandes surfaces, qui elles-mêmes peinent souvent à fidéliser leurs salariés. Dans le second, avec la mondialisation des chaînes de valeur, des difficultés à honorer certaines commandes, en des temps raisonnables, dans un pays peuvent se répercuter dans de nombreux autres pays et déstructurer la production mondiale. Avec pour conséquence un possible étouffement de la reprise économique.

Difficultés conjoncturelles et structurelles

Il n’est cependant pas toujours évident de distinguer les difficultés conjoncturelles de recrutement de celles qui sont structurelles. En effet, les services à la personne relèvent manifestement des secondes, si l’on en juge par les tensions dans le secteur depuis une décennie. Mais les enquêtes semblent également montrer un changement de vision des salariés sur leurs conditions de travail. Ainsi, tandis que certains ont définitivement tiré un trait sur un mode de vie (et de travail) jugé éreintant, d’autres se sont déportés vers des secteurs plus en phase avec leurs aspirations et surtout propices à les embaucher durablement - parfois à de meilleures conditions - lorsque les confinements successifs les avaient empêchés de travailler. L’un dans l’autre, des salariés expérimentés ont pu quitter en grand nombre certains secteurs (hôtellerie, restauration…), ce qui a débouché sur une pénurie de main-d’œuvre au redémarrage de l’activité.

Des emplois non pourvus

Il peut sembler paradoxal de voir certains secteurs peiner à recruter, alors que le taux de chômage reste très élevé dans la zone euro (7,6 % en juillet 2021, contre 8,4 % il y a un an), et en particulier en France (7,9 %). Ce, d’autant plus que 264 800 emplois étaient vacants, en France, au second trimestre 2021 (postes libres, nouvellement créés ou inoccupés, ou encore occupés et sur le point de se libérer, quelle que soit leur forme juridique), en hausse de 22 % par rapport au trimestre précédent, principalement dans le tertiaire marchand (+ 32 %), l’industrie (+ 18 %) et la construction (+ 17 %). Mais, de tels chiffres de vacances d’emploi à un moment donné, outre qu’ils ne concernent que les établissements des entreprises de 10 salariés ou plus du champ privé, ne disent rien sur la difficulté des recrutements. Quant aux 300 000 à 400 000 offres d’emploi non pourvues chaque année, qui ne peuvent être assimilés statistiquement aux emplois vacants, peut-être faudrait-il avant tout s’interroger sur leur nature ?

Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre d’une politique publique de formation des salariés, afin d’accompagner le transfert de main-d’œuvre des secteurs en sureffectifs vers ceux en tension, n’est justifiée que si la pénurie est structurelle. Et pour qu’elle soit couronnée de succès, encore faut-il que les conditions de travail proposées par ces secteurs soient attirantes. Or, de hausses de salaire globales il n’est guère question…

Raphaël DIDIER