«Notre profession du chiffre va connaître une mutation importante»

Jean-Luc Flabeau, président de l’ECF et Lionel Canesi, assesseur viennent de confirmer leur candidature aux prochaines élections du CSOEC.
Jean-Luc Flabeau, président de l’ECF et Lionel Canesi, assesseur viennent de confirmer leur candidature aux prochaines élections du CSOEC.

À l’occasion du Congrès national ECF  (Experts-comptables et commissaires aux comptes de France) de Deauville, Jean-Luc Flabeau, le président du syndicat fait le point sur la rapide évolution de l’exercice de l’expert-comptable et du commissaire aux comptes et sur les actions à entreprendre pour faciliter cette mutation. Il confirme, par ailleurs, sa candidature aux prochaines élections du CSOEC (Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables), aux côtés de Lionel Canesi.

Le congrès d’ECF cette année est organisé autour du thème «Proactif face aux changements», pouvez-vous nous le présenter brièvement ?

Jean-Luc Flabeau : Comme beaucoup de métiers, notre profession du chiffre va connaître une mutation importante au cours des prochaines années. Notre syndicat ECF réfléchit bien évidemment à toutes les actions qui peuvent aider les confrères à accomplir ces changements qui vont agir sur leur mode d’exercice, l’organisation de leurs cabinets, les relations avec leurs clients et aussi leurs équipes. Avec les membres de mon bureau, nous avons donc souhaité bâtir ce congrès sur cette thématique. Avec deux conférences, l’une sur la révolution numérique et l’autre sur l’évolution des ressources humaines. Et de nombreux ateliers animés par les meilleurs spécialistes.

En qualité de président d’ECF, quelles sont les actions syndicales que vous avez menées au cours de l’année passée ?

Ces actions sont nombreuses, car l’actualité professionnelle ne nous a pas laissé beaucoup de répit. Il y a eu le projet de loi Pacte avec le dénouement que nous connaissons. Mais aussi plein d’autres sujets comme le projet d’examen de conformité fiscale, la remise en cause du principe de séparation de l’audit et du conseil avec l’article 9 Bis A, la réforme de la formation continue et la création des OPCO (Opérateurs de compétences), la réforme des retraites, le projet de spécialisation mené par le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables et sur lequel nous avons encore de nombreuses réserves, les futures contraintes de la lutte anti-blanchiment. Sur tous ces sujets, nous agissons toujours pour défendre au mieux l’exercice libéral des professionnels du chiffre, ce qui n’est pas toujours simple.

Vous êtes également commissaire aux comptes et ancien président de la Compagnie régionale des CAC de Paris IDF, les changements à venir concernent aussi les CAC, comment la profession va-t-elle évoluer ?

Le Gouvernement, avec l’appui des représentants des entreprises, avait une volonté farouche de relever les seuils d’audit au niveau européen. Les représentants de la profession, que ce soient les institutions ou les syndicats, n’ont pas été entendus. À présent, il convient de se projeter dans l’avenir et de savoir comment la profession va s’adapter. Nos missions, quelles que soient leurs natures, ne seront acceptées par nos clients et notre environnement que si leur utilité est reconnue. Pour pouvoir continuer à pratiquer l’audit dans les PME en dessous des seuils européens, qui est devenu volontaire avec la loi Pacte, nous devrons proposer une approche d’audit véritablement adaptée. Chez ECF, c’est ce que nous proposons depuis 15 ans. Mais j’avoue que je suis encore inquiet sur la capacité de changement de la CNCC. Les deux nouvelles normes PE, remplaçant la NEP 910, n’apportent toujours pas les réponses d’adaptation et d’utilité que le marché demande.

Quelles sont les actions syndicales d’ECF pour les jeunes qui rentrent dans la profession ?

Tout d’abord, la raison d’être de notre syndicat est, encore une fois, de défendre et développer l’exercice libéral. Beaucoup de jeunes diplômés s’installent ex nihilo ou intègrent des structures à taille humaine et il est très important de défendre ces modes d’exercice pour l’ensemble des professionnels et notamment des jeunes confrères et consœurs. Avec Boris Sauvage, vice-président ECF et qui a été aussi ancien président national du CJEC, nous associons les jeunes dans nos réflexions et actions. Systématiquement, nous leur dédions un espace d’expression dans nos principales manifestations. Ce sera le cas à notre congrès de Deauville. Sous l’impulsion de son président Guillaume Proust, notre commission «innovation» crée un nouvel événement le 26 juin prochain : un «Booster Day». Pendant toute une journée, nous allons aller à la rencontre de start-up pour démultiplier les partenariats et faire du networking. Beaucoup de jeunes confrères ont manifesté leur intérêt à cette action et se sont déjà inscrits à cette journée.

Comment allez-vous accueillir les «nouveaux» experts-comptables d’entreprise au sein d’ECF ?

Nous avons déjà un lien assez fort avec l’association des Experts-comptables en entreprise. Avec la loi Pacte, ces experts-comptables en entreprise vont être plus intégrés dans notre institution ordinale et j’espère que nous pourrons encore mieux travailler ensemble. Près de la moitié des jeunes diplômés vont en entreprise. C’est toute cette communauté de
diplômés, experts-comptables exerçant en libéral mais aussi diplômés d’expertise comptable, que nous devons mieux faire vivre. À l’heure des réseaux, il est très important que nous puissions développer le plus de connexions entre ces deux populations de diplômés d’expertise comptable. La grande profession du chiffre n’en sera que renforcée.

Vous êtes, avec Lionel Canesi, les têtes de liste ECF pour les prochaines élections CSOEC, pouvez-vous nous présenter brièvement votre programme ?

Jean-Luc Flabeau et Lionel Canesi : Notre projet est celui d’experts-comptables en activité et de chefs d’entreprise ayant une vision ambitieuse de l’utilité et de la légitimité des experts-comptables au service de l’économie de notre pays. Nous voulons tout d’abord mettre en place les bases de l’indépendance numérique de la profession, ne rien s’interdire pour assurer l’avenir numérique des experts comptables que ce soit au niveau des outils ou de l’utilisation des datas. Notre deuxième priorité, c’est la formation des collaborateurs, là aussi nous souhaitons mettre en place les fondations de l’indépendance de la profession avec la création d’une école de la profession qui doit avoir deux priorités : attirer les jeunes talents et l’accompagnement au changement pour nos collaborateurs actuels avec l’arrivée du numérique. Il n’y a pas un territoire de France ou il n’y a pas une pénurie de collaborateurs. Définissons les profils des collaborateurs des 10 prochaines années et mettons en place les formations qualifiantes pour permettre de former le capital humain indispensable à la croissance de nos cabinets et à l’accompagnement de nos clients. Notre projet va être complété par les contributions des experts-comptables libéraux que nous rencontrons lors de notre tour de France avec le leitmotiv ne rien s’interdire pour assurer l’indépendance et la pérennité de notre profession. Nous voulons tout d’abord mettre en place les bases de l’indépendance numérique de la profession.

Pourquoi avez-vous décidé d’être candidats ?

L’expert-comptable doit être «le couteau suisse» de l’entreprise. Notre profession a toujours montré une agilité hors du commun pour s’adapter aux mutations de l’économie. Nous sommes avant tout des chefs d’entreprise au service des chefs d’entreprise. Pour être encore plus utiles à nos clients, nous devons maîtriser les outils numériques et le CSOEC doit enfin devenir le mutualisateur d’outils au service du plus grand nombre. Avec Jean Saphores, nous avons fait «jedeclare.com» il y a longtemps, il est temps de passer à la suite de l’aventure numérique. N’oublions jamais que nous tirons notre légitimité de notre utilité à l’économie.

L’avenir de la profession est aussi lié à la bonne santé de nos entreprises, comment envisagez-vous l’action de l’expert-comptable après la diminution des seuils pour les CAC ?

L’expert-comptable est au cœur de l’économie, non pas en tant que théoricien, mais parce qu’il est un praticien ancré dans la réalité des problématiques, des questionnements, des urgences auxquelles des milliers d’entrepreneurs doivent apporter des réponses, de leurs contraintes administratives et réglementaires, des évolutions de leurs marchés. Ce rôle central, cette capacité à réaliser le grand écart entre la comptabilité de base et le conseil stratégique, cette immersion au plus près des centres de décision de l’ensemble des secteurs de l’économie, bref, ce positionnement unique doit absolument être valorisé.

Quel devrait être l’action du CSOEC pour préparer l’expert-comptable de demain ?

Être à l’ordre ce n’est pas «être aux ordres». Il est grand temps que notre profession sorte de l’anonymat. D’abord parce que la discrétion et la modestie, si elles restent des vertus, trouvent leurs limites dans un monde de communication. Ensuite parce qu’une profession, si elle veut attirer les jeunes talents, doit savoir valoriser toutes les facettes des missions qu’elle propose, tordre le cou aux idées reçues et aux clichés, présenter sa modernité et ses valeurs, démontrer son utilité, surprendre. Mais au-delà, précisément parce qu’il est au cœur de l’économie, l’expert-comptable doit être respecté, consulté et écouté par ses partenaires à commencer par les Pouvoirs publics. Le professionnel du chiffre et du conseil partage la vie des entreprises depuis leur création jusqu’à leur transmission. Il collecte des données fiscales et sociales qui lui permettent de produire un baromètre de conjoncture précis et fiable. Imaginer une loi nouvelle sans associer à son écriture un expert-comptable est une erreur, et à bien des égards une faute. Légiférer sans faire appel au témoignage de terrain de l’expert-comptable, c’est se priver d’une analyse nourrie d’expériences concrètes et d’un regard précieux parce que lucide et documenté.

Propos recueillis par Boris Stoykov, (Affiches Parisiennes) pour RésoHebdoEco.