Vie urbaine

Les villes moyennes et petites face au casse-tête de la mobilité

Les bus ne sont pas pleins et coûtent cher, le vélo reste marginal et il se trouve toujours des électeurs pour réclamer davantage de stationnement gratuit. Pourtant, dans les villes moyennes et petites, la mobilité peut aussi devenir vertueuse, à condition de ne pas céder à la facilité.

Tout le monde aurait une voiture, et chacun l’utiliserait légitimement pour tous les trajets. La «mobilité durable» a beau être célébrée à tous les échelons par les pouvoirs publics, cette croyance très ancrée continue de guider l’essentiel des décisions économiques et politiques dans les villes moyennes et petites. À tort : dans toutes les villes, entre 15 % et 30 % des foyers ne possèdent pas de voiture.

Il est vrai que les habitudes ont la vie dure. La plupart des agglomérations de plus de 30 000 habitants sont dotées d’un réseau de bus, mais, sauf dans les grandes villes, celui-ci ne concentre que 5 %, au mieux, des trajets, souvent ceux des ménages les plus pauvres, ainsi que des collégiens et lycéens.

Le financement du réseau, qui repose sur trois ressources, des subventions publiques, les recettes commerciales et enfin le versement transport, un impôt payé par les employeurs, est régulièrement menacé. Ainsi, au début de ce mandat 2020-2026, une trentaine de communautés d’agglomération, dotées de la compétence en matière de mobilité, ont déjà décrété la gratuité des transports pour les usagers, espérant ainsi séduire un nouveau public. Ce choix suppose une hausse du soutien budgétaire, et donc le concours des contribuables, ou une augmentation du versement transport, au risque d’effrayer les entreprises. Le résultat escompté n’est pas forcément au rendez-vous, sauf à accompagner la gratuité d’une refonte complète du réseau. Car ce n’est pas tant le prix que la facilité d’usage qui guide les usagers vers un mode de transport plutôt qu’un autre.

Un autre horizon se présente aux élus, celui de la «mobilité comme un service» (Maas selon son acronyme en anglais), qui propose à l’usager, sur son smartphone, un parcours combinant les diverses offres, bus, train, parking, vélo ou marche. L’idée est séduisante mais bute, surtout dans les petites villes, sur des obstacles concrets. Les lignes de bus ne sont pas toujours coordonnées. Les arrêts se limitent parfois à un poteau fiché au bord de la chaussée et à une feuille illisible sur laquelle sont inscrits des horaires compliqués à déchiffrer. Le trottoir est difforme et l’usage du vélo, compte tenu de la vitesse de la circulation, demeure anxiogène.

Mieux signaler les arrêts, aménager les horaires, signaler les passages en temps réel, peuvent inciter les habitants à emprunter les transports publics. C’est le pari qu’avait tenté une élue de Poitiers, Anne Gérard (PS), lors du mandat municipal précédent. «Une dame nous avait expliqué les obstacles rencontrés sur son parcours, en empruntant des bus successifs, pour aller à l’hôpital et en revenir. Nous avions effectué le trajet avec elle, et identifié des améliorations assez simples à apporter», se souvient-elle.

L’essor du vélo dans les villes moyennes

Dans les années précédant la pandémie, l’équipement en transports publics, leur fréquentation et les recettes commerciales ne cessaient de progresser dans les agglomérations de plus de 50 000 habitants, selon les chiffres rassemblés par l’Union des transports publics (UTP), l’organisation professionnelle du secteur. Cette évolution était en revanche plus fragile dans les plus petits réseaux.

Depuis mars 2020, la fréquentation des transports a beaucoup baissé, ne serait-ce qu’en raison des confinements, du couvre-feu et des restrictions de circulation. Mais l’UTP observait l’automne dernier que les réseaux des villes moyennes subissaient un recul plus modéré que ceux des métropoles, et singulièrement de l’Île-de-France, affectées par l’annulation des congrès professionnels et l’absence des touristes.

Durant cette période, les villes moyennes se sont également tournées vers le vélo et la marche, des usages en progression partout depuis un an. Arras, Colmar ou Chambéry ont tracé, à l’instar des métropoles, des pistes cyclables temporaires qu’elles ont pérennisées. Certaines villes, comme Bourg-en-Bresse (Ain) ou Libourne (Gironde) font même de ces aménagements des arguments pour séduire les habitants des métropoles qui seraient tentés par une vie moins éreintante dans une ville «à taille humaine».

Les itinéraires pensés pour le cyclotourisme, par exemple le long des cours d’eau ou d’anciennes voies ferrées, rencontrent un incontestable succès, y compris en-dehors des périodes touristiques. Au nord de Roanne (34 000 habitants, Loire), «une piste longeant un canal est désormais empruntée par des salariés le matin et le soir», observe Yves Crozet, économiste des transports. Ce type d’infrastructure présente l’avantage, selon lui, «de ne pas aménager seulement le centre-ville», ce à quoi se limitent encore de nombreuses collectivités. Pour les villes de cette taille, la consultante et anthropologue, Sonia Lavadinho préconise des «rocades pour les modes actifs», afin qu’il soit possible de passer d’un quartier à l’autre à pied et à vélo.

L’évolution des comportements de mobilité nécessite enfin une complémentarité entre les différents modes. Ainsi, dans la plupart des villes, les parkings ne manquent pas, mais leur signalisation fait défaut. Le nombre de places, la distance au centre-ville ou à la gare, et le cas échéant le tarif, ne figurent pas toujours sur les panneaux indicateurs. En conséquence, beaucoup d’automobilistes préfèrent chercher une place au plus près de leur destination, alors qu’un parking à moitié vide, parfois gratuit, se situe à quelques centaines de mètres tout au plus. L’art de la «mobilité durable» passe aussi par l’automobile.