Les aléas du XXIe siècle déstabilisent le modèle social français

Les aléas du XXIe siècle déstabilisent le modèle social français

La crise a accentué des fragilités existantes dans la société et en a engendré de nouvelles, constate France Stratégie. Mais quel modèle social peut faire face à ce contexte nouveau, imprévisible et aux aléas multiples ? 

La crise a mis en exergue et accentué les fragilités et les inégalités de la société française : c’est le constat des analystes de France Stratégie, centre de réflexion du gouvernement, dans le cadre d’un document intitulé « Covid-19 : pour un ‘après’ soutenable». Dans leurs pages consacrées à «quel modèle social, pour faire ‘avec’ nos vulnérabilités», les chercheurs illustrent d’abord combien la crise a frappé les plus fragiles, les vulnérabilités de toutes sortes s’accumulant. A lui seul, le département de Seine-Saint-Denis résume ces dynamiques perverses : derrière le Haut-Rhin, à égalité avec les Hauts-de-Seine, il détient le triste record de la plus forte augmentation de son taux de décès durant la pandémie. Il compte trois fois moins de lits en réanimation que les Hauts-de-Seine, pour une population légèrement plus nombreuse. « La crise agit comme le miroir d’inégalités sociales, mais aussi territoriales qui sont souvent imbriquées. Les populations les plus pauvres sont vulnérables au virus car elles sont plus exposées à des facteurs de comorbidité, comme l’obésité, l’exposition à la pollution. Elles vivent dans des zones plus denses, dans des logements plus souvent surpeuplés, et elles sont aussi plus exposées quand elles travaillent», note l’étude.

Autre constat, la crise a accru la vulnérabilité de plusieurs autres catégories de citoyens : les personnes âgées dépendantes, les travailleurs obligés de sortir pour travailler, une «nouvelle segmentation» dans ce domaine, mais aussi, les personnes déjà fragiles, à l’image des  handicapés, des migrants, des SDF, des victimes de violences conjugales. Ces derniers ont vu leur situation «considérablement dégradée».

Tensions de financement et de dialogue social

Face à la crise, «le modèle social, composé du triptyque services publics-protection sociale-droit du travail a été largement mobilisé », note France stratégie. L’État a joué un double rôle. Tout d’abord, il a financé largement ménages et entreprises. En cela, il «a poursuivi un processus déjà largement entamé d’universalisation du modèle social, qui va de pair avec un financement croissant par l’impôt», explique France Stratégie. A l’inverse, l’Etat a publié des ordonnances qui fixent à 60 heures la durée maximale du travail pour certaines activités, ouvrant une brèche dans le Code du travail. Ce faisant, il «met (…) sous tension le dialogue social et la capacité du droit du travail à protéger la santé et la sécurité des hommes et des femmes qui travaillent». Les deux démarches semblent difficilement soutenables à long terme, d’après France Stratégie, qui invite à réfléchir à une évolution du modèle social.

D’autant qu’au-delà de cette crise, une nouvelle donne s’impose. «La multiplication et la complexification des interdépendances induites par le développement économique et l’organisation du monde brouille la géographie des risques», explique l’étude de France Stratégie. Vieillissement, exposition aux pollutions, réduction de la biodiversité… «deviennent- ils des risques sociaux, dès lors qu’ils nous rendent plus vulnérables à la maladie, au chômage, à la précarité ?» A l’aube de ces «nouvelles vulnérabilités », c’est tout notre modèle social qu’il convient de repenser : sa capacité à s’adapter, ses politiques de prévention, l’hétérogénéité des protections dont bénéficient les personnes en emploi selon leur statut, la protection pour les plus vulnérables…

Anne DAUBREE