Droit/Événement

Justice à bout de souffle : la mobilisation a été nationale

Le 15 décembre dernier, magistrats, greffiers, fonctionnaires de la justice et avocats ont manifesté dans la plupart des juridictions pour exiger des moyens supplémentaires pour la justice. Un mouvement de contestation qui fait suite à plusieurs semaines de mobilisation pour faire entendre la souffrance des personnels de justice.

«Plus de moyens pour la justice !» Telle était la principale revendication des rassemblements organisés par 18 organisations syndicales et professionnelles(*), le 15 décembre dernier, à midi, devant des tribunaux, un peu partout en France et devant le ministère de l’Économie et des Finances, à Paris. Une action couplée à un appel à la grève pour le moins inédit, dans la mesure où les magistrats n’ont pas le droit de grève, et parce que c’était la première fois que l’Union syndicale des magistrats (USM), le syndicat majoritaire, appelait à la grève aux côtés du Syndicat de la magistrature.

Par cette action symbolique, magistrats, greffiers fonctionnaires de justice et avocats ont voulu exprimer leur ras-le-bol général face au manque de moyens dont souffre l’institution judiciaire. À Paris, où les syndicats avaient demandé au ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, de les recevoir, une délégation de représentants de magistrats a été reçue, en fin de journée, par le directeur de cabinet du ministre délégué chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt.

Le monde judiciaire crie sa souffrance

C’est une tribune publiée le 23 novembre 2021 dans le quotidien Le Monde, qui a mis le feu aux poudres. Rédigée par un collectif de juges, de substituts et de greffiers, ce texte en forme de cri d’alarme dénonce l’approche gestionnaire de la justice, le manque criant d’effectifs et les graves dysfonctionnements de l’institution, et témoigne du grand malaise et du profond sentiment de mal-être qui touchent tous ceux qui assurent le fonctionnement de l’institution judiciaire.

La publication de cette tribune a très vite entraîné un flot de témoignages de magistrats, de greffiers et de personnels de greffe dans les médias et sur les réseaux sociaux. Conditions de travail «indignes» du fait du manque de moyens humains, outils informatiques obsolètes, déshumanisation de la justice, perte de sens du travail, burn-out… La tribune, qui a rapidement récolté plus de 7 000 signatures dans le milieu judiciaire, a également donné lieu à l’adoption de motions dans les juridictions et a reçu le soutien de barreaux, des quatre conférences nationales des procureurs et des chefs de juridictions, de la Cour de cassation et du Conseil supérieur de la magistrature.

Le gouvernement tente de désamorcer la crise

Le 13 décembre, lors d’une conférence de presse, suivie d’un courrier adressé aux magistrats et aux agents judiciaires, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a annoncé plusieurs mesures destinées à répondre à ces difficultés. Augmentation du nombre du nombre de places offertes au concours d’entrée de l’École nationale de la magistrature, pérennisation de plus de 1 400 postes affectés à la justice de proximité, évaluation des besoins en magistrats juridiction par juridiction, expertise des outils informatiques, création d’un numéro vert d’assistance psychologique…

Invité à s’exprimer sur l’antenne de France Inter, le 15 décembre au matin, le garde des Sceaux a rappelé que le malaise était ancien et mis en avant la forte progression du budget de la justice au cours de ce quinquennat. «Il y a eu 20 ans d’abandon», qui expliquent «l’état de dénuement, de clochardisation, dirait Jean-Jacques Urvoas [ancien garde des Sceaux], dans lequel se trouvait la justice en 2017», a-t-il déclaré, avant de mettre l’accent sur l’adoption de «deux budgets historiques successifs», qui ont abouti à une hausse de 30 % sur cinq ans, dont 18 % pour l’institution judiciaire, le reste revenant à la pénitentiaire. À la critique d’un auditeur qui lui faisait remarquer qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait eu la prétention de dire «avoir réparé la justice», le ministre a répondu : «j’ai réparé l’urgence, oui, je le dis.»

En s’appuyant sur les conclusions d’un rapport de l’Inspection générale de la Justice, qui établit notamment que «les stocks [d’affaires en cours] ne relèvent que partiellement du manque d’effectifs», il a expliqué que les difficultés étaient également liées à des problématiques de répartition, d’organisation et de management, sans oublier la charge de travail entraînée par «l’inflation législative», ou encore «les écritures trop longues des avocats.» Enfin, il a également pointé «les tentations d’instrumentalisation [du mouvement de contestation organisé ce jour-là] dans un contexte pré-électoral.» Ces derniers propos n’ont pas contribué à calmer les esprits.

Une première étape

Pour les organisations syndicales à l’origine de cette mobilisation, les annonces du gouvernement ne permettront pas de résoudre la question centrale de la souffrance au travail des personnels de justice. Elles demandent notamment «un plan budgétaire bien plus ambitieux pour la justice, afin de lui faire rattraper enfin son retard historiqu, «le recrutement de magistrats et de fonctionnaires de greffe qui doit correspondre aux besoins» et «la suspension des modifications incessantes des règles de procédure.» Grâce à ce mouvement de contestation, la question des moyens humains, techniques et financiers des juridictions figure désormais au programme des «États généraux de la justice», lancés en octobre dernier par le chef de l’État. Peut-être un nouveau levier d’action pour les organisations syndicales et professionnelles, qui ont déclaré que cette journée du 15 décembre 2021 n’était qu’une première étape.

(*) Union syndicale de la magistrature (USM), Syndicat de la magistrature (SM), Unité Magistrats, Unsa Services judiciaires, CGT des Chancelleries et services judiciaires, Fédération nationale des jeunes avocats (FNUJA), Confédération nationale des avocats (CNA), Avocats conseils d’entreprise (ACE), Association des jeunes magistrats, Association des juges d’instruction, Association des juges des contentieux de la protection, Association des juges de l’application des peines, Conseil national des barreaux (CNB)

Miren LARTIGUE