Entreprises

Barthélemy Jeanroch, directeur de B’Est : «Mais où sont les travailleurs ?»

Le directeur du centre commercial B’Est a adressé un courriel à notre rédaction évoquant les difficultés récurrentes et préoccupantes de nombreuses entreprises en termes de recrutement. Pas un coup de gueule, davantage un appel à une prise de conscience. Pour Barthélemy Jeanroch, un constat et une urgence : «Pour beaucoup de salariés, le travail ne paie plus suffisamment par rapport aux revenus de l'assistance. La question primordiale est de revaloriser le travail.»

Barthélemy Jeanroch lance aujourd'hui un appel, notamment vers les élus et législateurs. (c) B'est.
Barthélemy Jeanroch lance aujourd'hui un appel, notamment vers les élus et législateurs. (c) B'est.

Les mots sont sans équivoque, directs, sans langue de bois. Directeur du centre commercial B’Est et directeur général délégué B’Est Loisirs/B’Fun Park, à Farébersviller, Barthélemy Jeanroch introduit son propos par une formule lapidaire : «Dans cette affaire, il n’y a pas de tribunal, mais pour autant il y a bien des victimes. Victimes d’un système socio-économique qui ne performe plus, inefficace, laissant parfois les entreprises épuiser leurs ressources pour celles à qui il en reste encore.» Rappelant : «Je suis directeur du centre commercial B’Est et directeur général du complexe de loisirs B’Fun Park. J’emploie une trentaine de personnes et regroupe une centaine de commerçants, restaurateurs et prestataires représentant non loin d’un millier d’emplois directs et indirects. Probablement l’un des plus gros employeurs en Moselle-Est.» Il cite quelques chiffres officiels : «Un taux de chômage historiquement bas à 7,4 % soit 2,3 millions de chômeurs en France, 5,4 millions de demandeurs d'emploi en France toutes catégories confondues, 362 800 emplois vacants au 2e trimestre 2022 en France (et encore pour ceux qui les déclarent officiellement).»

Beaucoup de questions, peu de réponses...

Barthélemy Jeanroch déroule une série de questions, que pléthore de chefs d’entreprise peuvent lui emprunter face à la pénurie de main-d’œuvre à laquelle ils font face : «Il semble qu’il y ait un problème. Faites le calcul ! Y a-t-il encore des demandeurs d’emploi motivés ? J’ai beaucoup de questions et assez peu de réponses : comment faire comprendre aux postulants que dans les métiers du commerce, des loisirs et de la restauration, le week-end et les soirées travaillées ne sont pas des options ? Que faire quand des enseignes ouvrent et peinent à recruter, ou ne peuvent pas ouvrir faute d’effectifs suffisants ? Comment être un employeur attractif financièrement quand une prime ou une hausse de salaire va faire perdre des aides au salarié ? Sommes-nous prêts à vivre dans un monde où il pourrait ne plus être possible de sortir le soir ou le week-end pour s’amuser faute de salariés suffisants pour laisser les structures concernées ouvertes ?» Le directeur de la structure farébersvilloise poursuit : «J’ai pourtant bien la réponse aux questions suivantes : combien d’entre nous ont embauché du personnel au cours des derniers mois et les ont vu arrêter rapidement car les conditions étaient trop fatigantes ? Car il était plus intéressant financièrement de rester à la maison prenant en compte l’augmentation des coûts comme le carburant ? Combien d’entre nous ont pris des rendez-vous pour des entretiens d’embauche avec des postulants qui ne se sont jamais présentés ? Combien d’entre nous n’ont plus un seul CV sous la main à trois mois des fêtes de fin d’années ? Tous ! Pas un échange, pas une rencontre aujourd’hui avec un responsable ou un dirigeant sans aborder immédiatement la détresse du sujet des ressources humaines.» Revenant à la situation propre du centre commercial qu’il dirige : «À l’heure où le centre commercial connaît son meilleur taux de remplissage (98 %), où nous générons de l’intérêt pour des enseignes locales ou nationales/internationales, où nous sortons d’une crise sanitaire et économique mondiale, nous faisons face à un déclin constant de la valeur travail et des effectifs disponibles. Cette problématique nous la connaissons tous, TPE, PME, indépendants, succursales, artisans… Bien que grand par sa taille, B’est est un groupement d’indépendants. Des indépendants qui travaillent avec acharnement et savoir-faire tous les jours à la réussite de leur commerce.» Revenant sur le sens de son appel : «Je me dois de lancer l’alerte pour une prise de conscience collective de nos élus, de nos administrations, mais aussi pour attirer l’attention de tous ceux qui ont encore envie et qui cherchent un emploi. Car aujourd’hui l’envie et la motivation suffiront. Je ne perds cependant pas espoir d’améliorations.»

Le problème récurrent des charges pour les entreprises

En complément de son argumentaire, Barthélemy Jeanroch nous a confié plus en avant son ressenti : «On peux augmenter les salaires, mais chacun doit bien comprendre que payer quelqu’un 1 000 €, cela va en réalité coûter 2 000 € à une entreprise. Augmenter les salaires aujourd’hui, c’est augmenter le coût de la vie. Il y a clairement un problème de charges trop élevées sur les entreprises qu’il faut baisser, pour faciliter les embauches. Je comprends les revendications des uns et des autres. Mais, c’est une réalité de tout chef d’entreprise. De toutes les manières, il est urgent de revaloriser le travail. Quant au manque de personnel dans de nombreux métiers, notre société doit prendre conscience qu’on ne peut pas vivre uniquement d’influenceurs. Il faut tous les métiers.» Rien que sur son centre commercial et le complexe de loisirs, Barthélemy Jeanroch a recensé une bonne vingtaine d’emplois nécessaires au bon fonctionnement des commerces et boutiques concernés. Postes qui ne trouvent pas preneurs. De conclure : «C’est un cercle vicieux. Il faut s'attaquer une fois pour toutes aux problèmes de fond. Celui que je soulève aujourd’hui est majeur. Tout cela, un effet Covid ? Je n'y crois pas. Ces difficultés de recrutement et de coûts pour les entreprises existaient avant», dit Barthélemy Jeanroch, directeur de B'Est.

«Il serait grand temps de s'occuper enfin des problèmes de fond dans notre pays, comme celui de la valorisation du travail, de ceux qui travaillent par rapport à ceux qui ne veulent pas travailler», dit Barthélemy Jeanroch, directeur de B'Est.