Avec le coronavirus, la fièvre monte sur la dette publique

Avec le coronavirus, la fièvre monte sur la dette publique

Pour maintenir leur économie à flot, les États rivalisent de plans de soutien. Cela au prix d’une formidable augmentation de la dette publique, que les Banques centrales monétisent plus ou moins directement… Éclairage.

En 2019, c’est peu dire que le monde croulait sous les dettes publiques sans que cela pose de problème particulier. Ainsi, le taux d’endettement public — mesuré par le volume de dette publique rapporté au PIB — s’élevait à 109% aux États-Unis, 84% au sein de la zone euro, 60% en Allemagne, 85% au Royaume-Uni, 98% en France, 135% en Italie, 237% au Japon… Et avec l’annonce de plans massifs de soutien à l’économie (110 milliards d’euros en France, 156 milliards en Allemagne, 2 000 milliards de dollars aux États-Unis…), le déficit public se creusera de manière abyssale. L’un dans l’autre, comme la plupart des économies entreront en récession et que le volume de dette publique augmentera beaucoup, le taux d’endettement public connaîtra une forte hausse en 2020, de 15 à 20% en moyenne, selon les estimations !

De l’art de réduire l’endettement public

D’aucuns redoutent qu’avec ce surcroît important de dettes publiques, les taux d’intérêt sur ces titres augmentent au point de rendre le service de la dette impossible à assurer pour un État, même si pour l’instant les taux d’intérêt souverains sont globalement très bas. Pourtant, il n’existe a priori aucun seuil d’endettement maximum, puisque la soutenabilité de la dette publique dépend autant de facteurs économico-financiers (taux d’intérêt, taux de croissance, dépendance aux capitaux étrangers…) que de facteurs plus difficiles à appréhender (stabilité gouvernementale, effet d’annonce…).

En théorie, il existe plusieurs manières de rendre l’endettement public supportable à défaut de le réduire. Tout d’abord, il est possible d’allonger la maturité de la dette publique, en échangeant par exemple des titres de dette publique actuels à 10 ou 15 ans contre des titres à 50 ou 100 ans, voire perpétuels, ce qui éliminerait le risque de taux d’intérêt pour l’État…

Un État peut également espérer que les taux d’intérêt à long terme soient inférieurs à la croissance nominale, car cela lui permet de se désendetter à moindres frais. Une hausse contenue de l’inflation peut également servir à réduire le taux d’endettement public, mais jusqu’à présent l’inflation a été vue par les Banques centrales comme l’ennemi à abattre.

Dans un cas extrême, un État peut aussi faire défaut sur une partie de la dette publique, au risque, bien sûr, de ne plus pouvoir emprunter sur les marchés durant une période plus ou moins longue. Certains États africains, qui sont actuellement en négociation avec leurs créanciers publics pour un moratoire sur leur dette publique, pourraient bien y avoir recours…

La monétisation

Mais c’est essentiellement la monétisation des dettes publiques qui permet actuellement de rendre l’endettement public supportable. Depuis 2010, au moins, la Banque centrale européenne (BCE) achète ainsi des titres de dette publique déjà émis par les États membres de l’UE dans le cadre du Quantitative easing, ce qui fait mécaniquement baisser les taux d’intérêt. Ce faisant, avant même la pandémie, la BCE détenait 20 % des dettes publiques de la zone euro, et cette part est vouée à augmenter après l’annonce par sa présidente, Christine Lagarde d’un programme d’achat urgence pandémique (PEPP), qui permettra à l’institution d’acheter avec beaucoup de souplesse des actifs à hauteur de 750 milliards d’euros, pour peu que la Cour constitutionnelle allemande lâche du lest !

Quand bien même il ne s’agit pas d’une monétisation directe, comme celle pratiquée par la Banque d’Angleterre, l’action de la BCE s’en rapproche. En effet, la BCE crée de la monnaie pour acheter des titres de dettes publiques déjà émis sur le marché et dont l’objectif est de financer la lutte contre le COVID-19. L’État en question versera donc les intérêts de sa dette à la BCE. Or, le bénéfice net de la BCE est distribué aux banques centrales nationales, qui les transfèrent aux gouvernements des différents pays. Ce faisant, tout se passe comme si l’État récupérait en fin de compte les intérêts versés initialement. Dès lors, si la BCE s’engage à ne pas réduire la taille de son bilan pendant de très nombreuses années, en renouvelant l’achat de titres à l’échéance, alors les États n’auront pas à rembourser ce surcroît de dettes publiques. Il s’agit donc bien d’une monétisation indirecte des dettes publiques, pourtant contraire à l’esprit des Traités européens…

Autrement dit, ce sera la monnaie créée par la BCE qui financera une part importante de cette crise au sein de l’UE et non la dette publique, réduisant ainsi la probabilité de survenue d’une crise de la dette publique ! D’aucuns craignent, néanmoins, un retour de l’inflation, mais tant que cet argent ne sert pas à acheter les biens et services du panier de la ménagère, rien n’est moins sûr…

Raphaël DIDIER